Corfou, un tour d’île en kayak gonflable

Cet article est le premier d’une longue série sur mon voyage en Grèce. À l’été 2023, j’ai passé 3 mois sur les eaux de la mer Ionienne. J’ai pagayé autour de Corfou, de Paxos, de Meganisi et d’Ithaque. Puis, j’ai embarqué à bord d’un voilier. Pour commencer l’aventure, je t’embarque sur Léon, le kayak gonflable qui nous a fait faire le tour de Corfou. Si tu préfères les images aux mots, tu peux retrouver ce tour d’île en story sur Instagram.

Corfou : des plages de sable blanc, des cocotiers et la mer. Ou pas.

Corfou, ses grandes plages de sable blanc, son soleil qui brille sans brûlure et ses cocotiers.
Corfou, cette destination que j’imaginais créée pour les cartes postales, créée par et pour une masse touristique en quête de photos Instagrammables.

Corfou, cette citadelle qui culmine sur notre arrivée en ferry, cette eau « potable, mais peut-être pas » qui remplit nos gourdes et ce couple qui s’envoie en l’air au rythme du gonflage de Léon.
Corfou, cette destination dont je ne savais rien, dont j’avais imaginé les plages et les cocotiers? Celle qui allait mettre à mal tous les a priori que j’avais construits sans raison. Tous, sauf celui d’un tourisme qui se masse à 2 h 30 en avion de Paris.

coucher soleil tour de corfou en kayak

Corfou n’a pas été une évidence. En même temps, comment aurait-elle pu s’imposer dans ma bucket list inexistante alors que je ne savais même pas la situer sur la carte ? Tu savais, toi, que sur la côte Est de Corfou, le réseau est albanais ? Tu savais qu’au même endroit, exactement là où on ne peut pas accéder aux app météos sans payer 9€70 / Mo, on nous explique, en grec, que le bivouac est interdit ? Ou que la mer Ionienne nage sur trois grandes plaques tectoniques ? Tu savais que Corfou ne s’étale pas sur des plages à bronzer, mais s’empile sur des falaises prêtes à s’effriter ? Et puis, à quoi bon avoir des cocotiers quand on peut avoir des hôtels en masse ?

Je ne savais rien de Corfou. Je ne savais même pas que la mer Ionienne caresse les orages d’Albanie, ni que les maisons blanches à toits bleus n’ont jamais dépassé la côte Ouest du Péloponnèse. Pourtant, c’est là que j’ai planté ma pagaie. Pendant une quinzaine de jours, j’ai parcouru les côtes de cette île au corps fou. J’y ai marché à la recherche d’ombres et de châteaux. Et de cette côte au sable déguisé en falaises, j’ai pris le ferry pour la suite de mes aventures en kayak gonflable. En duo. En mer Ionienne. En voilier.

Pour cette première escale en Grèce, je t’embarque dans mon presque tour de Corfou.

Découvrir Corfou sans avion et sans plan

Le monde est si vaste que l’on a cru que sans avion, on ne saurait aller plus loin que le bout de la rue. Alors, on mis des ailes sur des carlingues. On a franchi les océans sans se mouiller et on a oublié que ce monde, si vaste, était en vie. Pourtant, le monde est si petit que les puces que nous sommes pouvons voyager d’un rêve à l’autre en train, en ferry*, à pied, en kayak et en duo. C’est justement ce monde, celui d’à côté, celui qui a un alphabet qui se dessine face à mon incompréhension, celui qui chante dans une radio différente, celui des salades à l’oignon et des pains tout plats que j’ai eus envie de découvrir. Sans avion.

Venise en kayak

Ce monde commençait à Venise. Après avoir déambulé dans une ville qui se réveille, ma copagayeuse m’a rejoint.
Nous avons tourné à droite.
À gauche.
L’autre gauche.
Nous avons marché sans autre but que de trouver une pizza et nous avons pris le Vaporetto.
Il nous a laissé à quai, nous avons trouvé une mise à l’eau. Le temps d’une soirée, nous avons pagayé sur les canaux de Venise. Seules avec notre kayak gonflable, nous avons essayé de siffler comme des gondoliers crier « ohé du bateau, on arrive ! » pour passer, nous avons tenté de nous repérer sur une carte sans échelle et nous avons croqué cette aventure hors du commun à pleines dents.

Les souvenirs plein les mirettes, nous avons quitté l’Italie par la mer. Dans les ronrons d’un ferry assourdissant, nous avons franchi les portes grecques à Igoumenitsa.

kayak gonflable en Grèce

24 h sur un ferry, c’est long. C’est court.
Les paupières pleines d’envie, nous mettons pied à terre.
Les sacs sont lourds.
Léon, le kayak, pèse le poids d’un âne étanche. Alors, on trimballe nos rires dans cette ville déguisée en fantôme.

Arriver dans un pays inconnu, c’est découvrir la magie de Google Translate. C’est chercher à comprendre pourquoi la ville est si vide, c’est lui trouver mille excuses dans une Histoire qui n’a peut-être jamais été sienne et c’est comprendre, qu’en Grèce, les âmes dorment de 12 h à 19 h.
Arriver à Igoumenitsa, c’est aussi comprendre quand sa copagayeuse parle allemand avec un Grec, c’est chercher une carte, avec ou sans échelle, c’est rêver de demain en se créant des habitudes aujourd’hui.

Pagayer autour de Corfou, de ses falaises et des hôtels

Une journée à Igoumenitsa, c’est court. C’est long.
Les sacs sont lourds.
Léon, notre fidèle compagnon, transforme nos mollets en un champ de bleus.
Alors, avant de se mettre à l’eau, on cherche de quoi remplir nos gourdes. Au port, l’eau est potable. Ou pas. On verra.

Arriver sur une île inconnue, c’est ne pas savoir dans quel sens pagayer, c’est zigzaguer dans les chantiers navals et se lancer dans une aventure dont on ne sait rien.
Arriver à Corfou, c’est retrouver son amour inconditionnel pour Léon, c’est rire à cette droite et cette gauche intercalaires et c’est rêver d’aujourd’hui en reprenant les habitudes d’hier.

coucher soleil corfou grece

Pagayer autour de Corfou, c’est autre chose. C’est le début de l’aventure. C’est se fixer comme point de mire, « le bâtiment stalinien » parce qu’il est gros et gris, « l’hôtel bling-bling » parce que des petits bonhommes en lin se déambulent devant, « la falaise qui va bientôt tomber » parce qu’ici tout s’émiette (n’en déplaise à ces architectes qui construisent des maisons éphémères en bord de précipice).

Pagayer autour de Corfou, c’est surtout regarder les app météo à chaque pause goûter. Ou plutôt, faire une pause goûter à chaque fois qu’on a envie de regarder les app météo.
On guette les orages, on se dit qu’on a le temps d’aller jusqu’à un abri et on se retourne pour regarder la pétole parcourue. Mais, dans un grand sentiment d’entourloupe, on s’aperçoit que l’orage de 16 h est en avance. Un énorme nuage au cul noir nous fonce dessus.
Demi-tour.
Une plage.
On s’arrête.
Un restau rempli de petits bonhommes en lin blanc surplombe sa plage privée. Sous leur coupe de cheveu de petits filous, ils montent sur des zodiacs plus rigides encore que notre humour noir. Nous, en legging délavés, t-shirt anti-UV et chaussons trop serrés, on offre à cette situation improbable nos rires les plus éclatants. Pour nous protéger des gouttes qui parsèment le rivage, soit nous vendons un rein pour tapisser de sel et de sable les fauteuils trop blancs de la taverne, soit on se serre sous un figuier sans figue.
Oh, ne va pas croire, cher lecteur, que nous sommes parties sans vêtements de pluie ! Bien sûr que nous avons tout ce qu’il faut pour nous protéger… au fond des sacs.

Et puis, pagayer autour de Corfou, c’est quitter la côte Est. Longer les hôtels, courir derrière les pointes qui semblent nager toujours plus loin et se retrouver, enfin, face aux falaises esseulées. Entre les rochers, des escaliers permettent aux villas suspendues d’avoir un jardin marin privé. Entre les longueurs sans âme qui vive, des parasols invitent les baigneurs à s’éviter un cancer de la peau prématuré. Entre ces moments de silence, on découvre les incontournables instagrammables de Corfou.

Si tu vas à Corfou, n’oublie pas de regarder ta carte

« Si on est au niveau du monastère, à droite, il y a la baie, donc pile-poil en face de nous, il y a la plage. Logique. À vue de nez qui n’a aucune notion des distances, ça doit faire 2 km. Pas besoin de cabotter. »

Tu nous connais. Nos estimations sont aussi trompeuses qu’une carte maps.me en pleine mer. On a beau avoir traversé la France et fait le tour de Corse en kayak gonflable, rien n’y fait. De nos erreurs, on apprend que les larmes de nos rires.

faire du kayak gonflable à Corfou

Arrivées au pied d’un monastère, l’horizon nous offre une vue imprenable sur notre destination. Dans nos optimismes réciproques, nous calculons les distances, nous élaborons des plans de nav’ et nous fonçons à toute pagaie au milieu d’une mer d’huile et de houle.

Nous avons 2 km à parcourir. Sauf, qu’en Grèce, les 2 km de nos rêves ne sont pas forcément ceux de Corfou. Sans crier gare, ils se transforment en une heure de pagaie.
Étrange.
Soit.
La plage de bivouac se trouve en fait à 6 criques de là où on s’échoue.
Étrange ?
Tant pis.

Comme souvent, il est midi, le soleil abruti les sens. La seule ombre de disponible se cache sous une construction de fortune entre pagaie, bout de rocher et foulard troué. On a à peine le temps de finir de manger que les touristes déboulent en masse. Les bateaux font rugir leurs moteurs aux abords d’une grotte. Qui sont tous ces êtres qui viennent perturbés nos plans improvisés ? Comment peut-on faire autant de bruit dans cette bulle de beauté ? Pourquoi nous transformons-nous en mamies aigries que l’on aurait dérrangé à l’heure de Motus alors qu’on a encore toutes nos dents ?
On repart. On longe d’immenses plages aux falaises encore plus immenses. On sait que plus loin, un peu, mais pas trop non plus, il y aura une plage avec un chemin. Une échappatoire comme on dit. Une solution pour aller s’acheter un paquet de cacahouètes si le vent, les vagues et la houle nous empêchent de reprendre les eaux. Ce plus loin arrive, il est là, après cette pointe.
Ou celle-là.
Ah, non, c’est peut-être la prochaine.

Quand on pagaie, le monde disparaît. Perdues dans nos conversations chantées, on perd parfois le sens de la logique. Alors, quand surgit un premier bâtiment, la critique des constructions sauvages alimente un non-débat. Quand ce bâtiment s’agrandit, on peste contre un hôtel. Je regarde sur le GPS et rien n’est indiqué.
Deux coups de pagaie. On gagne quelques mètres.
Si c’est trop grand pour être un hôtel, ça doit être une base militaire (et les bases militaires, on connaît !).
Un troisième coup de pagaie.
Un sixième.
« C’est une ville ! »

Je retourne sur le GPS. Les rires deviennent fatigue. La fatigue devient épuisante. Aucune ville n’est censée être là. Sauf si nos yeux ont confondu les pointes et les avancées, les criques et les baies, les plages et les miettes de falaises. Sauf si nos bras en guimauve nous ont fait avancer plus loin que prévu.
Vraiment plus loin.
Beaucoup trop loin.

Aimer Corfou. Aimer pagayer. Aimer la quitter.

On n’a jamais vraiment su si le bivouac était autorisé ou non sur Corfou. Alors, pour ne pas prendre le risque de se faire déloger, on cherche des endroits à l’abri des regards. On attend la nuit. On plante la tente et on croise les doigts pour qu’aucun chien ne promène son humain à minuit.

Ce soir-là, dans cette ville qui n’était pas censée surgir avant le lendemain, nous avons fait notre nid au milieu de quelques déchets.
Un autre soir, c’est sur un port désert que nous avons planté la tente.
Mais, une autre fois encore, c’était dans une baie de paradis. Une presqu’île accessible seulement à pied, en bateau ou en Léon. Un petit coin de douceur où les touristes disparaissent à l’heure de l’apéro. Sur la plage déserte, nous avons planté la tente. Nous nous sommes installées pour un repas de semoule et de carottes et nous avons souri aux étoiles. Là, sur cette plage que l’on aurait pu croire vierge, je commençais enfin à tomber en amour pour Corfou.

Cet amour n’aura duré qu’un temps. Le temps de découvrir une ville d’attractions flottantes, de bars, de salons de tatouages et d’épiceries qui vendaient plus d’alcool que de légumes. Le temps de quitter la côte pour arpenter, en bus et à pied, les trésors des terres. Le temps de monter à un château en ruine et de sourire à la mer qui nous avait accueilli nos pagaies quelques jours auparavant. Le temps de visiter des monastères et de se perdre dans les ruelles orageuses de Corfou ville. Le temps de partager un repas avec un Suisse à vélo. Le temps de créer la FFSF (la Fédération Française des Super-Femmes) en hommage à un couple qui ne pensait pas voir surgir des flots deux badass au féminin.

Cet amour pour Corfou n’aura duré que le temps d’en partir. Oh, j’ai aimé pagayer autour de cette île dont je ne savais rien. J’ai aimé les melons, les pastèques et les pêches qui nous coulaient sur les genoux. J’ai aimé me baigner dans les eaux claires et ioniennes, sentir le soleil de 16 h sur ma peau salée et rire à toutes ces maisons construites aux cimes des falaises. J’ai aimé les monastères, les routes avec vue sur le passé pagayé et courir après nos affaires emportées par les flots. J’ai aimé faire séché du pain qui s’était noyé, créé une protection de brics et de palettes pour éviter le vent et boire du vin ignoble dans une boite en plastique.
Mais, j’ai aussi aimé quitter la foule, ce tourisme d’une masse dans lequelle je ne me retrouve pas et ces paysages envahis de déchets.

Corfou aura été la première. C’est ici, sur cette île entre l’Albanie, la Grèce et ailleurs, que mes trois mois en mer Ionienne a commencé. Et c’est là qu’il a fini.

*Le ferry est également un moyen de transport polluant, je sais. Ces quelques phrases n’ont pas pour but de lancer un débat stérile du type « c’est moi qui pollue le plus ! », « non, c’est moi ! ». Elles sont là pour préciser mon choix de limiter au maximum mes relations avec l’aviation. En plus, j’ai peur de l’avion.

7 réflexions sur “Corfou, un tour d’île en kayak gonflable”

    1. Merci !
      Heureusement que les autres îles de la mer Ionienne sont aux antipodes de Corfou ! Malgré le beau temps, l’eau claire et le kayak, je n’ai aucune envie d’y retourner 😄

  1. Merci pour ce bonbon de poésie visuelle qui coule sur la langue… c’est beau de découvrir Corfou et ses défauts de cette manière, l’aventure y donne un goût d’inaccessible retrouvé.
    Pas plus envie d’y aller que ça mais ravie de t’avoir accompagnée pendant tes coups de pagaie et de te lire ici.

    1. Merci pour ce commentaire si joli !
      Pour Corfou, je crois que je vais bientôt pouvoir devenir influenceuse de « décroissance touristique ». Une destination souffre du tourisme de masse ? J’y vais, je vis une super aventure mais j’arrive quand même à convaincre les gens de ne pas y aller 😄
      Heureusement, les autres îles de la mer Ionienne m’ont offert de bien jolies surprises…

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