Un voyage (pour Elle) en temps de pandémie

8 ans. Cela fait maintenant huit ans que je vais et je viens d’un bout à l’autre du monde. 8 ans que j’éparpille au gré des océans, des miettes de moi, de nous et de rêves. Peut-être pour remplir mon cœur de larmes à verser ou prolonger cette relation que je rêve éternelle, il m’offre, à chaque retour, des sourires à aimer. 8 ans que je vis avec Lui.

Lui, le Chili.

Sous les nuages gris de Patagonie, j’ai découvert que le cœur s’arrête dans le creux des poignets lorsqu’il entend la mélodie du désamour. Puis, j’ai appris à danser sur des amitiés qui jonglent entre rires et vidéos de chats mignons.
Sur les flots turquoise du Pacifique, j’ai découvert que le cœur arrête le temps lorsqu’il entend la mélodie d’un amour partagé. Puis, j’ai appris à jongler entre des amitiés qui vont et viennent aux quatre vents.
Au Chili, j’ai découvert des amours et appris à aimer en espagnol.
Au Chili, j’ai aimé. Beaucoup.

Au Chili, j’y suis restée pour Eux.
J’y suis retournée pour Lui.
J’ai bifurqué d’un rêve à l’autre avec Lui.
Le cœur en bris, j’ai traversé un été pluvieux avec Elle.

Elle, c’est une petite loupiote qui s’allume au rythme des rires, des confidences et des cacahuètes. C’est un poème de souvenirs partagés après un coup de foudre comme l’amitié en connaît peu. C’est la parenthèse d’un été achevé sur le goût amer d’un pangolin mal digéré.

Avec Elle, j’ai laissé mon sourire voguer sur les eaux du lac, j’ai parlé à perdre salive et j’ai écouté jusqu’à plus soif. Ensemble, nous avons usé nos fesses sur des escaliers en béton et lacéré nos semelles sur les sentiers patagons. Nous avons bu un thé et une bière pour un apéro-goûter quotidien. Nous avons grignoté notre poids en cacahuètes et, sur le pas de la porte, nous nous sommes offert un « à demain ».
Pendant qu’Elle marchait vers les fjords, je lavais nos tasses en compagnie de huit limaces.

Une après-midi comme une autre.
Une après-midi différente.
Une après-midi où « demain » voulait dire « à dans un an ».


La France s’est confinée. Sans trop savoir ni pourquoi ni comment, on a suivi la tendance.
Elle s’est enfermée dans son bateau qui prenait l’eau. Je me suis isolée dans ma maison aux mille escargots.

Sans un dernier au revoir, elle a pris la route vers le Nord. Santiago l’attendait avec son lot de questionnements, de doutes et d’enfermement.
Sans un dernier sourire, j’ai pris les airs vers l’Est. Les Cévennes m’appelaient avec leur lot de surprises, de vadrouilles, de larmes et de retrouvailles.

D’un bout à l’autre du monde, nous avons vécu des réalités que tout oppose.
Enfermée dans un désert de patriarcat, elle laissait glisser le temps s’échapper dans des rêves inassouvis. Sur un kayak gonflable, je parcourais la France en poussant la chansonnette.
Chacune dans notre bout du monde, nous avons laissé la distance s’installée entre nous, sans que jamais elle ne sépare nos petits cœurs vagabonds.

D’un bout et de l’autre du monde, notre amitié n’a eu de cesse de battre des tempos rythmés aux sons de nos souvenirs partagés. Puis, un thé à la main, elle m’a annoncé qu’elle rentrait, là, tout près. 60 km allaient nous séparer. Rien, une broutille, un aller simple pour un week-end de retrouvailles comme l’amitié en connaît peu.

Le temps d’un message, la covid a disparu de nos emplois du temps. Les restrictions, les peurs et les masques se sont fait la malle de nos libertés. Demain était enfin arrivé. Avec un an de retard.
Le temps d’un message, je lui ai dit que j’y allais. J’allais enfin voyager. Là, à quelques dizaines de kilomètres de chez moi, dans une ville que je connais si bien.

Soyons honnête, dis comme ça, on est loin du voyage de rêve que l’on nous vend sur Instagram. Mais, voyager pour entendre son cœur tambouriner une amitié spontanée, c’est plus beau que n’importe quel hashtag tendance, non ?

J’ai roulé, droit devant.
J’ai roulé en levant le pied.
J’ai roulé d’un virage à l’autre sur cette route parcourue tant de fois.
La musique plein le sourire, j’ai roulé loin des attestations, des lois et des obligations.
J’ai roulé vers Elle, vers Nous.

Je me suis garée au même endroit de toujours. J’ai pris le tram, à la station de toujours. Comme toujours, je suis descendue aux pieds des escaliers sur lesquels j’ai tant de fois abandonné mon souffle. Sur l’esplanade, je suis passée devant mon lycée, j’ai marché sur les souvenirs de manifestations et je me suis laissée porter vers le point de rendez-vous de toujours.

Le temps d’un regard, la covid a disparu de nos emplois du temps. Le masque est tombé, les bras se sont élancés et « demain » était là, tout autour de nous. Puis, j’ai ouvert les yeux sur cette foule qui court après les soldes, après les libertés que l’on voit disparaître, après une évasion sédentaire.
Le temps d’un regard, la covid s’est invitée dans mes peurs. Sans masque, sans geste barrière, sans restriction ni attestation, je me suis demandée si j’avais eu raison.

Est-ce que « demain » aurait pu attendre quelques mois de plus ? Est-ce que la revoir mérite tous ces risques ? Est-ce que se leurrer de fausses libertés retrouvées compense la peur ?

Assises sur le silence des terrasses fermées, nous avons bu un café. Nous avons parlé de tout, de nous, de nos amours que l’on croyait éternelles, de nos amants et de leurs copines, de nos crushs et de leurs amours qu’ils ont promis pour toujours. D’une rencontre à l’autre, j’ai posé mes joues sur celles d’inconnus, j’ai laissé ma main autour de tailles inconnues et mon regard sur des sourires à connaître.
Assises sur un banc de pierre, nous avons regardé l’hiver mettre sur pause les plantes d’un jardin prêt à fermer. Nous avons parlé de tout, de nous, de nos (des)illusions, de notre Chili, de nos galères, de nos emmerdes et des miettes de cœur que l’on repart à la poudre d’artichaut. D’un pique-nique à l’autre, j’ai ri dans les langues de là-bas, j’ai murmuré aux oreilles à découvrir, j’ai posé mon rire sur des blagues incongrues, j’ai laissé mon regard se perdre dans des yeux à arpenter et mon envie d’aimer sur des inconnus à connaître.
Assise sur une chaise de paille, j’ai voyagé dans sa vie nouvelle. Nous avons parlé de tout, de nous, de Lui, des premières explorations à deux, de rêves et de voyages. D’une ruelle à l’autre, j’ai redécouvert une ville que je croyais oubliée, j’ai posé mon regard sur des souvenirs adolescents et j’ai laissé ma vie exploser dans un bonheur infini.

Ce week-end je n’ai pas pris d’avion, je n’ai même pas changé de région. Ce week-end j’ai pourtant voyagé. J’ai fait un voyage dans un monde d’insouciance et de libertés, de retrouvailles et de découvertes. J’ai observé des vieilles pierres, écouté des accents d’ailleurs et mangé des plats inventés. J’ai vécu ce week-end hors du temps, comme le voyage de tous les possibles.
Ce week-end j’ai ouvert mes interrogations à cette normalité qui nous enivre. Depuis un an, que nous reste-t-il ? Que nous reste-t-il à part des nano-aventures du coin de la rue ? Que nous reste-t-il à part nos rêves, nos envies et nos illusions ? Que reste-t-il aux nomades, aux couples internationaux, aux migrants et aux voyageurs en tous genres ?
Est-ce que les nouveaux voyages sont ceux que l’on annule d’un bout de clic ? Doit-on vivre les doigts croiser jusqu’au dernier moment pour espérer partir entre deux allocutions ?

Ce week-end, j’ai voyagé par amour, par amitié. J’ai écouté mon cœur plutôt que ma peur. Pour certains j’ai sûrement pris des risques insensés, inutiles. Pour moi, j’ai essayé de me protéger. J’ai essayé de protéger ma santé mentale après avoir protégé mon corps pendant des mois. J’ai essayé de palier au manque de câlins, de bises et de rencontres après des mois passés à côtoyer des inconnus sans pouvoir leur montrer mon sourire. J’ai essayé d’être moi dans cette période où les remises en questions s’enchaînent plus vite qu’un coup de pagaie sur une Loire en crue. Depuis un an, que reste-t-il de notre bien être psychique ? Que reste-t-il de nos interactions sociales ? Que reste-t-il aux cœurs d’artichaut, aux amoureux et aux amis ? Doit-on se résoudre à tomber en amour par écrans interposés ? Est-ce que les nouvelles relations sont celles qui se dessinent sur un écran bleuté sans savoir si un jour on pourra mettre une odeur sur l’Autre ? Est-ce que l’on doit désormais renoncer aux rencontres spontanées, aux nuits chez l’inconnu et escapades interdites ?

Dans un monde en crise, les voyages peuvent paraître dérisoires. Dans mon monde de privilégiée, les voyages rythment ma vie depuis l’adolescence. J’ai grandi sur la route. Je me suis construite aux quatre vents. Alors, pour moi, pour Elle qui vit en Australie, pour Elle qui n’a pas revu sa famille depuis deux ans, pour Eux dont l’amour est séparé par des océans d’interrogations, le voyage n’est pas qu’un caprice. Le voyage est un bout de nous, une pièce de ce puzzle que l’on essaie de compléter jour après jour.
Dans un monde malade, les sorties et les rencontres peuvent paraître dérisoires. Dans notre monde humain, les rencontres et les sorties rythment notre bien-être. Nous avons grandi dans un bain de libertés. Nous nous sommes construit dans un univers sans couvre-feu ni attestation. Alors, pour moi, pour toi, pour Elle, pour Lui et pour nous, rester enfermés dans un puits d’incertitudes n’est pas sain. Les rencontres et les sorties sont des bouts de nous. Elles façonnent les pièces de ce puzzle sur lequel on essaie de dessiner nos rêves et nos vies.

Sur la route du retour, j’ai roulé les cheveux au vent. Par la fenêtre, j’ai offert aux virages héraultais mes interrogations de voyageuse aussi amoureuse que peureuse. Pour certains, j’ai eu raison de vivre ce week-end sans masque ni limites. Pour moi, j’ai pris des risques. J’ai pris des risques qui ont rempli mon cœur de souvenirs, mes yeux de bonheur et mon sourire d’un goût de « reviens-y ». J’ai pris le risque de dessiner de nouveaux plans sur des comètes à rêves. J’ai pris le risque de croiser les doigts pour qu’un jour, les libertés de voyages ne soient pas confinées à celles d’une escapade au bout du Peyrou.

6 réflexions sur “Un voyage (pour Elle) en temps de pandémie”

  1. Quel plaisir de lire ce te texte au saut du lit. Je n’ai perdu aucune miette, chaque mot, chaque phrase est un délice. Ce que tu écris est si juste, je m’y reconnais aussi beaucoup. Je rêve encore plus que jamais de ces rencontres éphémères qui comblent le coeur sans qu’on l’explique vraiment, ces instants d’humanité partagée. Merci pour cet article qui remue autant qu’il donne espoir.

    1. Merci Laura pour tous ces petits mots que tu laisses ici ou là. Merci pour la gentillesse et les encouragements avec lesquels tu m’offres des retours sur mes textes. Merci de toujours répondre présente à mes publications.
      A bientôt j’espère, à Nantes ou ailleurs !

    1. A tous tes partages et commentaires touchants je ne trouve que ce tout petit mot un peu fade à répondre : « Merci ». Merci du fond du cœur pour ta bienveillance envers mes textes. Merci de prendre le temps de me lire et commenter, merci de voir de la beauté dans mes mots. Merci Cédric !

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