À l’heure où je pose ces mots sur mon écran bleuté, mes lèvres ont le goût du sel. Quelques gouttes de Méditerranée glissent le long de mon corps doré par les rayons d’un soleil encore chaud. Face à moi, une montagne de vert et de rouge vient frapper les clapotis d’une mer engourdie de beauté.
À l’heure où le soleil se fait or, les bateaux à touristes sont partis. Seuls quelques voiliers et catamarans peuplent de petit port de Girolata. C’est sûr, ce soir nous dormirons, encore une fois, sur une plage aux couleurs du paradis.
Après notre première nuit de bivouac, je m’étais demandée si on pouvait se lasser du chant des vagues. Après notre première rencontre avec des dauphins, je me suis demandée si on pouvait se lasser de la beauté de la Corse. Après cette journée passée à se baigner, pagayer et travailler, je peux enfin te donner ma réponse : non.
Voilà déjà un mois que je suis en Corse. Un mois passé à pagayer et à rêver, à découvrir et à manger des petits biscuits sur l’eau, à rire et à explorer le littoral de cette île aux mille visages. En un mois, il n’y a pas eu un seul jour où je n’ai pas dit « wahou », pas une seule soirée où je n’ai pas regardé le ciel se farder de pourpre, de rose et d’orange en me disant que j’avais de la chance d’être ici et maintenant.
En un mois, j’ai vu des plages de sable fin, des criques aux allures tropicales et des montagnes enneigées. J’ai souri en me baignant à demi-nue dans une eau cristalline et j’ai savouré le sel qui se dépose sur des lèvres trop curieuses. J’ai dévoré la beauté d’une rencontre éphémère et de celle qui s’éternise, au moins trois jours. En un mois, j’ai vu, aimé, découvert et partagé tellement de sourires, de rencontres, d’explorations et de carrés de chocolat, que j’en perds mes onomatopées. Pourtant, malgré toute cette beauté touchée, vue et vécue, je crois que cette semaine a été l’une des plus belles du voyage.
Oh, tu sais, cette semaine n’a été faite que de petits riens, de secondes qui éblouissent et d’étoiles qui caressent. La beauté goûtée, humée et frôlée est aussi légère qu’une brise de 9 h, aussi fine d’une ligne d’écume sur le sable de Santa Giulia. Pourtant, la beauté dévorée, croquée et nagée de ces derniers jours éclabousse encore mes rêves éveillés.
Sur l’eau, nous avons découvert un monde nouveau. Un monde de couleurs et de vie. Un monde qui semble irréel aux terriennes que nous sommes. Sous notre coquille de noix plastifiée, nous avons vu un banc de thons. Est-ce que tu as déjà vu un thon ailleurs qu’en conserve ? Peut-être sur l’étal de ton poissonnier ? Ils sont tellement beaux, grands et colorés qu’ils ont bien réussi à me faire peur ! Dans une mer obscure, les rayons du soleil venaient frapper leurs dos brillants. Sous des rayons lumineux, l’eau faisait vibrer leurs danses groupées. L’instant a été aussi bref qu’intense, aussi beau qu’éphémère. Peut-être que certaines rencontres doivent être brèves pour graver en nous un souvenir éternel ?!
Le lendemain, les rétines encore pleines d’écailles, la Méditerranée nous a offert un deuxième shot de beauté. Une beauté de vie et de couleurs. Depuis le haut de notre coquille de noix flottante, nous avons traversé un champ de méduses rosées. Le long des côtes, nous avons plongé nos pagaies entre les hauts et les bas de méduses dansantes. Prises dans leur voyage, elles n’ont peut-être même pas vu ces deux humaines fascinées par la douceur de leurs couleurs, de leur corps, de leur vie. Le spectacle a été aussi intense que bref, aussi éphémère que beau. Peut-être devons-nous réapprendre à apprécier le moment présent sans chercher à l’éterniser ?!
Sur terre, à quelques mètres de notre coquille de noix voyageuse, c’est une autre beauté qui s’est invité dans notre duo. La beauté d’une rencontre tout aussi éphémère qu’un banc de thons, tout aussi douce que la danse de méduses. La beauté d’un voyage à deux qui prend les allures d’une aventure à trois. Sur nos plages goût paradis, nous avons échangé avec un acolyte de passage, un inconnu adopté le temps d’un repas, de cacahuètes et de quelques chocolats fondus. C’est avec Lui, un enfant perdu filant droit dans ses rêves, que j’ai troqué mon pyjama de kayakiste pour rhabiller mes jambes de leurs genouillères humides. Avec Lui, j’ai passé quelques heures sur un sentier de cailloux, de rochers et de vent. Avec Lui, j’ai retrouvé la beauté des mollets qui tirent et la fatigue des pieds qui avancent.
Le temps d’une soirée, le monde a arrêté de tourner. Partis sur les traces du Capo Rosso, nous sommes arrivés en haut de la tour génoise à l’heure où le seul nuage de Corse embrasse le sommet. Assis sur le toit plat de ce monde qui se faisait nôtre, nous avons caressé l’horizon au rythme du vent. Entre silences partagés et souvenirs à créer, nous avons dessinés des sourires de randonneurs heureux, d’inconnus qui se découvrent. Les rétines gorgées d’une nouvelle beauté immortelle, nous avons suivi le vol d’un corbeau de bonne augure. Autour de nous, le ciel, le vent et les rayons roses invitaient au repos. Dans nos cœurs, la douceur du vent, du ciel et des rayons parme invitaient au silence. Un pas après l’autre nous nous sommes lovés dans la contemplation d’un instant aussi éphémère qu’unique, aussi inattendu que bref. Comme pris au piège de la douce beauté qui caressait chacun de nos sourires, nous avons ralenti le pas. Nous avons laissé la lune, l’étoile et la nuit absorber le sentier. Nous avons offert à la nuit, à l’étoile et à la lune nos derniers instants de cette rencontre aussi unique que brève, aussi éphémère qu’inattendue. Peut-être que la durée d’une relation n’est en rien proportionnelle aux souvenirs qu’elle tatoue dans un petit cœur vagabond.
À l’heure où je pose ces mots sur mon écran bleuté, des rires émanent des bateaux alentours. Les quelques gouttes de Méditerranée ont perlé jusqu’au sable chaud. Face à moi, la montagne de rouge et vert s’embrase de rayons d’or et de beauté. C’est sûr, ce soir, la beauté d’une vie rêvée m’accompagnera jusqu’aux bras de la douce Morphée.
Chaque semaine, je t’écris une lettre-journal de mon tour de Corse en kayak gonflable. Tu peux retrouver les textes précédents en cliquant ici.
Petite remarque Morphée est un dieux pas une déesse.
Sinon vos articles sont très beaux
Merci.
Effectivement, dans la mythologie Morphée est un Dieu. Malheureusement, aucun témoignage direct de Morphée ne confirme son genre. Ni son existence. J’espère que le fait d’avoir décidé de traiter Morphée au féminin ne vous a pas dérangé plus que ça.