Sur une herbe picotante à l’Est de la Corse Jour 7 du tour de Corse en kayak (gonflable)
Pour ce voyage, j’ai envie de t’écrire des lettres, des missives que l’on s’échange sur nos écrans trop bleus. Si les sternidés voyageaient aussi bien qu’ils ne crient « León », je leur aurais sûrement demandé de te déposer ces quelques mots directement chez toi, entre un petit thé et un biscuit. Mais, aujourd’hui, couchée dans une herbe qui picote la peau, je n’ai d’autre solution que t’écrire ici, indirectement.
Je suis partie sans t’annoncer mon départ. Cette année, il y a eu tellement de voyages annulés, de randos repoussées et de projets inventés sur le tard, que j’ai préféré garder le secret pour moi. Un temps. Et puis, pour être honnête, cette idée de tour de Corse en kayak gonflable est née entre deux messages, entre deux « et si ? » Et si on repartait avec León ? Et si on continuait de rêver à ces ailleurs inconnus ? Et si on allait en Corse ? Pour en faire le tour ? En kayak ? Ces « et si » ont semé des graines de rêves dans nos esprits vagabonds. Quelques semaines ont suffi pour les faire germer. Une annonce de fin de confinement a suffi pour cueillir ce rêve devenu réalité.
Trois « et si » et deux messages ont été nécessaires à la préparation de ce périple. Autant te dire que la seule vraie chose que nous avons préparé, c’est la réserve de chocolat ! Pourtant, cela fait déjà une semaine que je suis en Corse. Avec Elle. Avec León le kayak et Pouic-Pouic notre mascotte jaune. Une semaine à apprendre, attendre, rire et pagayer. Un peu. Une semaine sans nous noyer. Ou presque.
En arrivant à Bastia, nous ne savions pas vraiment dans quel sens tournent les vents du cap. Alors, après un rapide point météo, nous avons décidé de suivre les trotteuses d’un temps pas si mauvais. Dès le premier jour, nous avons plongé dans le grand bain Corse, celui de la générosité, de cet accent que l’on ne connaissait pas et de cette amabilité qui nous surprend jour après jour. Dès le lendemain, nous avons compris qu’en kayak gonflable, nous n’aurons pas le contrôle du voyage. Ici, ce sont la houle, les vagues et les vents qui rythment nos avancées. Nous, nous nous contentons d’attendre, d’observer et d’apprendre. Nous nous contentons de profiter de l’ici et du maintenant en regardant les prévisions météo de l’ici et du « peut-être que la mer sera plus calme demain ».
Parfois, la mer est plus calme. Alors, sur l’eau tout devient limpide. Notre binôme fonctionne comme au premier jour, comme sur la Loire. Chacune connait les gestes, les rires et les moments de pause de l’autre. On parle, on chante, on rit puis, on invite le silence à nous rejoindre à bord. Seules ensemble, on regarde le soleil danser entre les vagues et le sable, on ouvre les yeux sur les verts, les gris, les bleus, les turquoise et toutes ces couleurs secrètes qui peignent la mer. Perdues dans nos pensées esseulées, on guette l’horizon. On plonge dans nos souvenirs, nos amours et nos évasions. Lorsque mon regard se perd dans l’immensité de ce monde que je découvre, je pense au privilège que j’ai de pouvoir voguer, libre et heureuse, sur cette mer qui englouti celles et ceux nés de l’autre côté de la frontière. Dans le silence de mes larmes séchées par le soleil, je refais le monde. À ma façon. D’une pensée à l’autre, je pagaie jusqu’en Alaska, jusqu’à ce livre qu’Il m’avait recommandé et qui a fait chavirer mon petit coeur de lectrice bien plus que de raison.
D’autres fois, la Méditerranée nous oblige à chavirer et nous retourner garer sur une zone militaire en plein milieu d’un exercice de tirs, sur une plage de culs nus ou en face d’un camping bien trop cher. Alors, on se fait aider par deux jeunes soldats pour transporter León hors de la zone de tous les dangers, on fait des allers-retours chez les naturistes pour camper à l’orée de leur camping ou on installé notre bivouac à 100 m d’un camping au moins aussi grand qu’un parc d’attractions. Ces jours de pause imposée, on scrute la mer, la houle, les vagues et les écumes. On écoute les vagues, la houle, les écumes et la mer exploser contre des troncs d’arbres. Puis, on explore les fleuves alentours. En kayak. Ces jours de repos, le mal de terre nous rattrape. Tout tangue, sauf nous. La mer semble nous appeler, nos bras réclament le contact des pagaies et notre peau séchées par le vent manque de l’humidité constante de nos affaires.
Entre nos rires et nos coups de pagaie, il y a aussi cette routine qui s’installe dans notre duo d’aventurières du dimanche. Après une sortie plus ou moins fracassante des vagues salées, nous montons le camp. Sur terre aussi chacune connaît son rôle, ses gestes et ses moments de pause. On se complète, on se comprend. L’une a la raison qu’il manque à l’autre. L’autre a une énergie matinale débordante. Entre nos différences et notre amitié, se glisse cette passion pour le beau. Car ici, comme ailleurs, le beau se cache là où le cœur a envie de regarder. Le beau se savoure dans un carré de chocolat que l’on croque en regardant les dauphins nager à l’heure où le soleil se couche. Le beau est dans ces nuages noirs qui dessinent des souvenirs de Lui sur un ciel rose. Le beau est dans le chant de la houle, des écumes, des vagues et de la mer qui nous bercent jour après jour, nuit après nuit, depuis une semaine déjà.
Je finis cette lettre en fermant mes yeux sur une brise qui caresse les arbres, sur une ombre qui enlace un corps endormi et sur l’envie de reprendre le large. Demain. Si la mer est calme.
Depuis mon petit bout du monde, je t’embrasse, avec ou sans masque, en espérant que le bonheur, la tranquillité ou l’apaisement enivrent ton petit cœur.
C.
Chaque semaine je t’écris une lettre-journal de mon tour de Corse en kayak gonflable. Tu peux retrouver les textes précédents en cliquant ici.