Jour 12 d’un voyage solitaire,
La Guittière
J’ai passé la nuit à cuver ma nostalgie dans cette tente trop petite.
Autour de moi, j’entendais les jeux des enfants, les commentaires des adultes. À droite, celleux qui critiquaient les cyclo-voyageurs trop rapides : « non, mais certains font entre 70 et 120 km/jour. C’est du grand n’importe quoi. Autant prendre la voiture si c’est pour faire ça ! »
À gauche, les cyclo-voyageurs de l’exploit qui comparaient l’inutilité de leurs freins.
Au centre, enveloppée dans mon sac de couchage, il y avait moi, ma solitude, mes changements d’itinéraires et mes sempiternelles interrogations : est-ce que je vais trop vite ? Est-ce que je profite vraiment du voyage ? Si je vais plus lentement, le soleil va me filer entre les doigts. Et puis, il y a trop de monde sur la côte, est-ce que j’arriverais à prendre plaisir en flânant au milieu des badauds ?
Je me suis réveillée avant le camping. Ma seule motivation aujourd’hui : pédaler.
Pédaler encore et encore jusqu’à ce que mon corps s’arrête de lui-même.
Pédaler sans m’arrêter.
Pédaler pour voir les paysages défiler.
Pédaler pour mettre de la distance entre cette putain de solitude et mon cœur d’artichaut.
J’avais envie, besoin de mouvement. J’avais besoin de sentir mes larmes s’envoler au loin. J’avais envie de fatiguer mon corps jusqu’à en perdre l’esprit. J’avais besoin d’avancer avec de la musique beaucoup trop fort dans les oreilles. Je voulais faire exploser mes sens : l’ouïe avec Gojira, la vue avec le sel de ma sensibilité, le toucher avec la marque du guidon dans les paumes et le goût de la solitude avec des messages qui se perdent dans l’oubli.
Alors, j’ai pédalé au rythme de la batterie, j’ai chanté ma saudade et j’ai dévoré les kilomètres. Oh, j’ai dû en faire à peine plus de 90 entre mes tours et détours habituels mais, pour mes genoux arthrosés c’est déjà pas mal, non ?
Au port de la Guittière, j’ai trouvé un petit camping, au hasard d’une erreur de signalétique. Tu savais qu’il existe encore des campings où les douches chaudes se prennent avec des jetons ? Moi qui rêvais de brûler les quelques miettes de solitude choisie et subie qui me collaient au corps …
En t’écrivant ces mots, je m’aperçois que j’ai semé nostalgie et saudade entre les canaux et les plages de Gironde.
Ce soir, dans ma tente toujours aussi petite, je savoure la tranquillité d’une solitude que je chéris autant que je la déteste. Parfois.
Août 2021 : Toulouse → Bruxelles à vélo et en solo. Lors de ce voyage à vélo et en solo, j’ai écrit des lettres d’amour et de désamour. Réelles ou fictives, elles racontent ce voyage sous le prisme de l’amour, des rencontres, des doutes et de la séparation. Toutes les lettres sont à retrouver ici ou sur Instagram.