Certains nous appelle les « enfants perdus ». Nous serions ces petits bouts de chou, tombés du landau de la « vie normale ». Notre vie se résumerait à fuir les responsabilités à travers le jeu et une succession de siestes exotiques, crapuleuses ou secouées à l’arrière d’un bus bolivien. Entre nos baignades dans les eaux chaudes des Caraïbes, nos apéros sous les cocotiers et nos nuits toujours trop blanches, nous serions ces adultes perdus dans un monde imaginaire, un monde de voyages, de rencontres et d’insouciance.
Un monde parfait.
Un monde qui déplaît.
Un monde qui fait rêver.
Un monde qui fait peur.
Nous serions ces vagabonds qui sautent entre le nuages en fuyant les responsabilités, les factures, les déclarations d’impôts et même les bugs du site de l’URSSAF. Inconscients, insouciants et insoumis, nous serions les brebis galeuses d’un monde trop rond pour nous.
Nous sommes les enfants perdus. Nous sommes celles et ceux qui ont jeté les cartes d’un monde goudronné pour dessiner nos propres chemins.
Nous sommes celles et ceux qui tracent la route d’un bout à l’autre de leurs rêves.
Enfants perdus de France et d’ailleurs, nous sommes tous différents. Nous sommes tous pareils. Parmi nous, il y a ceux qui font le tour du monde à pied, en stop ou à vélo. Celles qui rentrent chez elles en kayak gonflable et ceux qui prennent le large sans savoir où les alizées les mèneront.
Nous sommes plus ou moins enfants. Pas toujours perdus. Nous sommes des adultes retrouvés.
Nous sommes des rêveurs, plus ou moins jeunes, dont les pieds frôlent plus ou moins la terre. Nous sommes de ces générations de vagabonds pour qui on ne devient pas adulte en se CDIsant mais en rêvant. Certains d’entre nous vont et viennent d’un emploi à l’autre. Ils enchainent les aventures lointaines dans la lenteur des rencontres éternelles. D’autres ont troqué les bancs d’une fac impersonnelle pour les sièges déglingués d’un taxi-brousse à partager. Ils auront essayé mais, la tentation de cumuler les PVTs était plus forte que l’envie de se faire un resto U.
Dans la grande famille des « enfants perdus », certains avancent à contre-courant, luttant contre un système qui dévore le vivant et détruit les songes. Différents mais conscients, il y a ceux qui s’adaptent et se fondent dans la masse, le temps de renflouer leur compte en banque. Le temps d’une saison, d’un ras-le-bol ou d’une envie de ski.
Comme des enfants, nous avons appris à tomber à cause d’une eau pas tout à fait potable, d’un coup de malchance ou d’une boussole rouillée. Pour nous relever nous avons accepté la main d’un amour sans lendemain, d’une inconnue aux soirées endiablées ou d’un chauffeur presque trop bavard. De chute en chute, nous avons perdu la peur de l’autre. Nous avons perdu la peur des égratignures en gardant celle des hôpitaux chiliens. Nous avons appris à faire confiance, à donner sans compter et à recevoir sans demander.
Comme des enfants, nous faisons de la vie une surprise à dévorer.
Demander à un enfant perdu s’il pense à la retraite, c’est recevoir un sourire de malice en réponse. Plutôt que de penser à nos vieux jours, nous pensons surtout que d’ici là, les choses auront changé. L’économie aura sûrement fait valser la solidarité jusqu’à l’oublier sur la piste des danses électorales. Et puis, nous serons peut-être dans un pays où l’heure se dessine dans le ciel et non sur une montre connectée. Nous pensons aussi que nous ne serons peut-être plus là. Tout simplement.
Perdus dans nos souvenirs, nous sourions à la mort qui a frôler nos vies, une fois ou deux. Parfois plus. Une nuit dans un bus péruvien, un séjour à l’hôpital à l’autre bout du monde ou rouler à plus de 180 km/h dans un désert argentin nous aura appris que la mort n’est jamais loin. C’est comme ça. Vivre le moment présent, aimer à en perdre le nord ou monter dans un camion sans ceinture de sécurité, ce n’est pas être inconscient. Ni être enfant. C’est voyager, s’adapter, rire à la peur, suivre son instinct et se fondre dans la masse d’humains qui forme un tout. C’est se perdre dans un bonheur à partager, partagé.
C’est être là, ici et maintenant, avec Lui, avec Eux.
Certains nous appelle les « enfants perdus ». Pourtant, nous ne sommes en rien perdus. Nous savons remercier en mille et une langues et sourire en silence. Nous savons où aller lorsqu’il fait sommeil et où manger lorsque les estomacs gargouillent en solo. Nous savons qu’il y a toujours une solution, même si les nuits sont froides et les repas frugaux. Nous rions de nos mésaventures et pleurons devant un coucher de soleil. Nous buvons dans le même verre et partageons nos plats de semoules lorsque d’autres ont faim. Nous n’avons perdu ni notre curiosité qui nous fait avancer, ni notre envie de rencontrer l’autre. Nous avons même conservé cet amour pour l’inconnu, ces amours de voyages qui alimentent nos souvenirs vagabonds et ce cœur d’artichaut qui se perd dans des sourires éphémères.
De perdues, nous n’avons que les illusions d’un monde uniformisé, d’une société unique où le bonheur s’attend pendant 60 ans.
Pour se retrouver dans une vie de découvertes et de voyages, elle a quitté son salaire allemand à plusieurs zéros, eux ont troqué taxis et écrans connectés pour des vélos à dérailler et lui, il a appris a marcher sur les sentiers d’ailleurs. Perdus au milieu de nos privilèges, nous avons fait de notre passeport, l’un des livres les plus précieux à transporter. Comme des gommettes colorées, les tampons qui le décorent retracent les chemins empruntés par nos vies rêvées.
En nous voyant avec nos sacs toujours trop lourds, nos vélos à quatre sacoches et nos lacets dépareillés, tu as peut-être pensé que nous étions des enfants perdus. Dans un soupir incompris, tu t’es demandé pourquoi. Comment.
En nous voyant pagayer loin de ta réalité, tu nous as peut-être vus comme des enfants ridés au sourire trop bronzé et au Nord trop rêveur.
En nous voyant sourire dans un métro beaucoup trop bondé tu as compris. Derrière ta cravate toi aussi tu as souris en repensant à toutes ces années que tu as passées à te perdre sur les sentiers de mondes inconnus.
Enfants perdus, adultes déboussolés, rêveurs d’ailleurs, nous sommes celles et ceux qui font de leur vie un rêve éveillé.
Enfant oublié, adulte au chemin tracé, rêveur du dimanche, je te souhaite à toi aussi, de croquer tes rêves de bonheur, d’ici ou d’ailleurs.
Superbe texte. Le voyage, une passion pas forcément facile à vivre pour tout le monde.
Bonne route
Merci beaucoup pour ce beau commentaire.