« Qu’il est doux, quand le vent caresse
Ton sein mollement agité,
De voir, sous ma main qui la presse,
Ta vague, qui s’enfle et s’abaisse
Comme le sein de la beauté ! »
(« Adieu à la mer », Lamartine)
L’automne vient d’arriver, apportant avec lui ses matins brumeux, ses midis ensoleillés et ses soirées venteuses. Seule, assise face au Pacifique, j’essaie, depuis plus de trois jours, de t’écrire. En vain.
L’automne s’installe et moi, je cherche encore et toujours comment t’écrire mon amour. J’écris, je raye, j’arrache, chiffonne et recommence. Je crie ma page blanche, je pleure mon silence. Comment moi, amoureuse de l’amour, la voyageuse qui, en 2017, envoie encore des cartes postales, suis incapable de t’écrire cette lettre ?
Trois jours d’automnes passés entre rage et désespoir. Trois jours à ruminer un texte qui refuse de voir le jour. Trois jours à sentir couler en moi ces mots d’amour invisibles.
Ce matin, les aboiements d’un chien au moins mille fois centenaires me réveillent : « Céline, tu fais fausse route ! Bien sûr que tu l’aimes, mais cette lettre, que tu tiens tant à écrire, n’est pas une lettre d’amour : c’est une lettre d’adieu, d’au revoir, d’à jamais, d’à bientôt. »
Comme un sursaut de réalité je réalise que je pars. Oui, je te quitte, une fois de plus. Je pars, je m’en vais, je m’en route. Je ne pars pas « demain » ni « un de ces quatre », non, cette fois-ci mon départ a un jour, un mois, une année : je pars dimanche 02 avril 2017.
Au fond, tu devais t’en douter : mon retour n’était que temporaire, tout comme mon arrivée d’ailleurs…
Mars 2013
Ne connaissant de toi que ton nom, je décide de quitter la France, mon appart, les falafels de l’Aspendos, le marché de Wazemmes, mon amoureux, mes amis, mes amours.
Quatre ans après notre rencontre, mes souvenirs se fondent dans une brume de mémoire. Impossible de savoir si, en te voyant pour la première fois, mon cœur a été touché par la foudre d’un amour inconditionnel ou s’il m’aura fallu du temps pour te connaître, t’apprivoiser, t’arpenter.
Je me souviens de ton calme chaotique, de ton désordre organisé, de ta propreté crasseuse. Je me souviens de nos premières balades sous la pluie, de cette perte de repère face à un Pacifique sans vague, de ses balades pendant lesquelles j’essayais de me perdre pour mieux te retrouver.
Je me souviens de la solitude des débuts, de cette drôle de sensation de me dire, qu’une fois de plus, je m’étais lancée dans une histoire qui ne durerait que quelques mois, retour en France oblige.
Et puis sans crier gare, tout a changé : tu m’as présenté ces étudiants, plus musiciens qu’ingénieurs, qui n’allaient à la fac que pour profiter de leur salle de repet ; ce poète anarco-sydicalsite avec qui je pouvais enfin parler de politique, de Borges et Cortazar tout en buvant son pisco, ses paroles ; cette famille qui nous adoptera, moi, mon accent et cette fâcheuse tendance à toujours faire des aller-retour entre ici et là-bas, ici et ailleurs…
Ensemble, toi, moi, eux, on a tendu nos mains pour attraper ces nuages bas de mars, on s’est caché dans le brise-lames pour boire des bières et manger des cacahuètes à la barbe des policiers, on a parcouru les escaliers délabrés à la recherche de photos détaillistes, on a manifesté pour que l’éducation cesse d’être un privilège, on a craché sur le machisme assassin.
Ensemble, on a fait de notre toit un havre de fête et de rencontres pour tous les amoureux de la vie qui souhaitaient y laisser leur batterie, utiliser ma râpe à fromage pour jouer du güiro ou faire des siestes crapuleuses sans devoir se justifier auprès de leurs parents.
Ensemble, on a consolé ces futurs pères qui venaient me voir pour m’annoncer qu’ils avaient fait une connerie, on a débattu avortement, religion, interculturalité.
Ensemble, on s’est perdu, on a dansé, on a écouté un quatuor nocturne trompette-trombone-océan-vent du sud, on a vendu des moelleux au chocolat pour ne pas laisser la faim nous tromper, on a travaillé pour une fille de nazis et on a découvert le néolibéralisme, le vrai, celui qui transforme l’humain en … rien.
Ensemble, on a célébré un mariage en blanc, un mariage plus ou moins frauduleux pour que je puisse rester plus longtemps auprès de toi …
Pourtant je suis partie, revenue, j’ai fui, je t’ai rejoint… Je ne compte plus nos « au revoir », nos retrouvailles et ces larmes au goût de pluie qui traversent mes rêves lorsque tu me manques.
Septembre 2016
Après une longue absence, me voilà de retour pour quelques jours. Une fois de plus, je me suis laissée envoûter par tes charmes insoupçonnés. Une fois de plus, tu m’as présenté des musiciens, des poètes, des rêveurs. Une fois de plus, j’ai décidé de repousser mon départ.
Aujourd’hui, six mois après mon retour, quatre ans après mon premier réveil patagon, il est temps pour moi de chausser ma tente et de suivre mes rêves.
Auprès de toi, j’aurais appris le partage, l’entraide, la solidarité, la fraternité. Auprès de toi, j’aurais appris le goût amer de la trahison et du mensonge. J’aurais appris le pardon, l’oubli, les erreurs, le recommencement. En ton cœur, j’aurais versé mille et une larmes, embrassé mille et un sourires.
Grâce à toi, j’aurais rencontré cette âme, sœur jumelle qui s’envolera avec moi grâce à ces souvenirs invisibles qui nous unissaient avant même nos premiers mots. Grâce à toi, j’aurais aimé cette âme rencontrée ailleurs, qui, par un simple câlin, m’aura offert des milliers de questions sur la vie, les vies.
Pour toi, j’aurais arraché des centaines de pages blanches, écris des dizaines de poèmes embrumés, aimé des milliers de mots insensés.
Avril 2017
L’automne vient d’arriver et, avant qu’il ne s’installe au creux des poêles à bois, je m’en irai, seule, face au Pacifique, vers le Pacifique.
Dimanche 02 avril 2017.
Je pars.
Je pars et emporte avec moi tous ces souvenirs que tu m’auras offerts, l’amitié de musiciens, l’odeur de la marée basse, le bruit d’Antonio Varas.
Je pars et t’offre ces bris de cœur que j’essaime depuis quatre ans sous tes trottoirs endormis.
Puerto Montt, malgré ton calme chaotique, ton désordre organisé et ta propreté crasseuse, je t’ai aimé. Aujourd’hui, je t’écris pour te dire adieu, au revoir, à jamais, à bientôt …
Aujourd’hui, je pars le cœur léger, car je sais, que quelle que soit la durée des secondes qui me séparent de nos retrouvailles, tu seras là, avec tes pluies éternelles, tes nuits glacées, tes nuages bas et tes escaliers indomptés.
Puerto Montt, quoique puisse dire les guides de voyages mal pensant sur ton manque d’attraits touristiques (ce qui est faux ! La preuve dans cet article) tu es et resteras pour toujours mon « chez moi » chilien.
Et toi lecteur, as-tu déjà aimé une ville, un quartier, un pays au point de lui écrire des lettres d’amour ?
Superbe et touchante ode au Chili ! Merci la plume 🙂 !
Merci à toi pour avoir pris le temps de me lire et de commenter ce texte 🙂
Tes textes sont simplement magnifiques… ils debordent d un amour passionnel pour la vie!
J’essaie de les écrire avec le coeur, de faire de ce blog une tranche de sincérité, simple et personnel.
Merci pour ton commentaire Emilie 🙂