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Jour 36 d’une histoire qui s’achève

Jour 36 d’une histoire qui s’achève,
Lille

Après la Normandie, tout est allé très vite. Trop vite peut-être.

J’ai filé droit dans la baie de Somme, je suis montée à ce belvédère où nous avions dormi avec ta mère. En longeant les belles demeures, je me suis demandée comment elle avait fait pour ne pas aimer.

J’ai profité du plat qui s’offrait à moi pour sourire et chanter des « bonjour » heureux aux badauds. Puis, j’ai maudit le Pas-de-Calais et ses pistes cyclables qui n’en sont pas. Je me suis détournée des panneaux de signalétique pour éviter les détours plein de nids de poules, de gravillons et d’herbes follement hautes. À croire que le département a cru que la Vélomaritime était un parcours d’obstacles pour cyclistes en mal de chutes.

J’ai cherché la plage où nous avions été, avec Eux, un jour où la pluie est devenue rideau. Je me suis fait doubler par un cheval essoufflé et je me suis tue devant le ballet des cargos transmanchiens. Ma tête, elle, explosait de questions, de rage, de doutes et de pleurs. Pourquoi avons-nous besoin de tant de marchandises ? Pourquoi avons-nous besoin d’autant de bateaux ? Comment font les animaux marins pour survivre au boucan de notre croissance ? Pourquoi une serpillière achetée en Asie peut voyager alors que des murs s’érigent face aux humains ?

De Sangate à Dunkerque, j’ai longé cette côte qui rabat mon sourire de voyageuse libre. Une fois de plus, j’ai eu envie de dégueuler mon privilège. Gerber ces droits que l’on me donne alors que d’autres crèvent rien qu’en rêvant de liberté. Vomir ma rage sur ces lois qui considèrent qu’une Française a plus le droit de voyager qu’une Nicaraguayenne. Pourtant, c’est bien moi qui me suis mariée pour des papiers. Pour mes papiers.

Sur cette côte de beauté et de dégoût, j’aurais pu bivouaquer n’importe où, sans avoir peur qu’on vienne lacérer ma tente au cutter. Pourtant, je ne l’ai pas fait. Mon inaction face aux injustices me donne aussi la gerbe. Parfois, je me dégoûte d’user de ce privilège sans ne rien faire de concret pour les autres. Souvent, je m’en veux. Les dissonances cognitives ont la peau dure. Surtout lorsque l’on percute un migrant. Littéralement.

Je t’ai écrit que je t’aimais, mais lui, je l’ai dans le sang.

Arrivée en Belgique, j’ai quasiment oublié le dégoût, la rage et les dissonances cognitives.

J’ai passé la frontière sans avoir à montrer mes papiers. J’ai profité de cette immersion en terres flamandes pour me lover dans une langue aux syllabes inconnues. J’ai lu chaque panneau, j’ai souri à chaque rencontre dans l’espoir de dérober quelques mots nouveaux. Un jour, je t’ai écrit que je t’aimais, mais lui, je l’ai dans le sang. J’ai mis des mots sur ce besoin du voyage, ce besoin de me perdre dans des rues sans fin, de m’égarer dans des impasses et de me réveiller dans des draps qui ne sont miens. J’ai essayé de t’expliquer mon amour pour l’odeur de la pluie, les aventures que l’on tait, les insomnies du départ et les soleils qui se couchent sur des rêves à partager.

Après de longs mois sans contact avec l’étranger, les étrangers, j’ai senti mon cœur s’emballer lorsque le caissier du supermarché m’a dit « 3,58 € ». Enfin, c’est ce qu’indiquait la caisse. Il m’a peut-être juste dit que j’avais un cil sur la joue. Ou qu’il a compté 254 limaces aujourd’hui. Qu’importe. Sa langue incomprise a fait vibrer mon amour pour le voyage. Pourtant, je ne suis pas très loin de la maison. Quelques centaines de kilomètres. À vol d’oiseau.

Perdue de l’autre côté de la frontière, j’ai voulu arrêter le temps. Il m’a glissé entre les doigts, alors, c’est moi qui me suis arrêtée. À Bruges, à Gand et à Bruxelles. J’avais envie de revoir ces villes où tu n’as jamais voulu m’accompagner. J’ai voulu connaître le troisième bout de chou de cette amie que tu n’as jamais voulu connaître.

Aujourd’hui, je t’écris de Lille. De chez moi. De ce chez moi éphémère où vivent des amitiés éternelles. De café où j’aime regarder les gens travailler, de ce salon de thé qui fait ressortir le nombril, de ces bars où j’ai usé de trop nombreuses semelles.

Aujourd’hui, je t’écris un au revoir. Encore un.

Cette lettre termine mon voyage.
Ce point termine notre histoire.

J’aurais aimé te donner ces lettres en main propre. J’aurais aimé t’offrir mon sourire de fierté. J’aurais aimé sentir tes bras me dire que je t’ai manqué. Mais, ce que je veux, c’est continuer à vivre pour Moi. Ici ou là. Seule, avec Lui ou avec Elle.

Les seules lettres que je peux désormais t’offrir sont celles du mot le plus simple et l’un des plus absolus et complets qui soient : « merci ».

Août 2021 : Toulouse → Bruxelles à vélo et en solo. Lors de ce voyage à vélo et en solo, j’ai écrit des lettres d’amour et de désamour. Réelles ou fictives, elles racontent ce voyage sous le prisme de l’amour, des rencontres, des doutes et de la séparation. Toutes les lettres sont à retrouver ici ou sur Instagram.

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