Si je ne savais rien des millions de photos instagrammées sur Corfou, imagine mon sourire en coin, lorsque ma co-pagayeuse m’a parlé de notre prochain duo d’îles. Deux petits cailloux flottants en mer ionienne. Deux noms de rêve qui auraient très bien pu gondoler entre les pasti et antipasti si nous n’étions pas en pays de fêta.
Paxos & Antipaxos
Παξοί & Αντίπαξος
Un menu d’îles
Situés au Sud de Corfou, les Paxi sont aussi intimistes que touristiques. Pour permettre aux voyageurs fortunés de profiter de ces îles où tout est calme, luxe et polo en lin blanc, la société de ferry, la seule, l’unique, la monopolisée, a tout prévu : au sortir de l’avion, un bus vous embarque direction de Lefkimi. Pas le temps de niaiser, en 1 h 30, vous traversez l’île de Corfou. Vous sautez alors dans un bateau qui n’attend plus que vous, même avec 2 heures de retard. Faites tourner les moteurs, vous voilà partis pour le paradis de l’instagrammable, des eaux turquoise et des falaises.
Si, comme moi, vous venez de faire le tour de l’île de Corfou en kayak, que vous n’avez aucun vêtement en lin blanc et encore moins les moyens de vous payer un logement sur Paxos, aucun soucis. Au contraire ! Loin des maisons d’architecte, des restaurants guindés et du circuit touristique classique, Paxos est mère de toutes les surprises. Sur cette île du bout de mer, il est à croire que tout semble fait pour transformer les plages en foyer, les châteaux en bivouac et les chiens en compagnon de route.
Il est à croire qu’en mer ionienne, à part des cyclopes, des sirènes et des magiciennes friandes d’hommes porcs, il n’y a aucun problème. Les vagues, la houle et le vent charrient dans leur chaleur des nuages de solutions, de simplicités et de possibilités.
Si Corfou n’a pas su faire vibrer ni mon cœur ni la foudre qui s’abat à grands coups sur mes souvenirs, Paxos a été une succession de sourires. Même dans les demi-tours. Même dans son tour incomplet. Même lorsqu’aucune plage ne semblait pouvoir nous accueillir. Même lorsque j’y suis revenue en voilier. Mais ça, c’est une autre histoire …
Une surprise de couleurs et de lin blanc
Paxos, c’est donc cette île aux falaises innaccessibles, au chien qui se joue de guide touristique et au sentier qui invite au vertige. C’est l’île où un spot à bivouac devient notre « maison » et où les bus ne passent pas les dimanches (mais ça, on ne le découvre qu’une fois à l’arrêt de bus, à 12 km de la maison. Sûrement l’humour grec.).
Paxos, c’est le pouce qui se lève, le taxi qu’on appelle et le jeune qui oblige son pote à nous embarquer. C’est le lapin posé au taxi et le neveu dudit taxi qui nous ramène à la maison plage. C’est la balade jusqu’au bout du monde de Lakka, la recherche d’ombre à l’heure des touristes et de la faim qui fait chanter le ventre. Paxos, c’est aussi le coup que l’on boit là où Brigitte a posé un lapin au patron (toujours se méfier des lapins en Grèce) et c’est laisser nos affaires à l’entrée dudit resto. C’est un Anglais qui propose de nous tracter avec son dériveur jusqu’à Antipaxos, c’est notre hésitation, nos billets achetés pour une autre île et une prise de décision tardive.
Trop tard pour le dériveur.
Trop tard pour retrouver l’Anglais.
Trop tard pour Antipaxos.
Tant pis, on y reviendra.
Une île créée d’amour et de falaises
Alors voilà, Paxos, c’est un caillou de paradis. C’est l’antithèse de Corfou. C’est nos premiers coups de pagaie dans un monde de cristal aquatique, de tortue qui regarde les vagues droit dans les yeux, de demi-tour parce que c’est plus prudent. Paxos c’est la vie qui se rêve dans une réalité de calme, de luxe et de t-shirts anti-UV. Une petite île posée là par un dieu amoureux. Après tout, qui n’a jamais envisagé de créer une île juste pour vivre dans un coton de sucre et de paillettes, d’amour et de douceur ? Qui n’a jamais envisagé d’arracher un bout de côte à Paxos pour se lover dans un cœur qui virevolte au rythme des feux d’artifice de l’amour ?
Paxos, c’est une goutte de verdure, de turquoise et d’étoiles solaires. C’est une explosion de couleurs quand le soleil se couche sur le large. C’est l’envie d’en faire le tour, c’est pagayer vers le nord, regarder la météo et s’apercevoir que les falaises sont trop dangereuses pour poursuivre en kayak gonflable.
C’est faire demi-tour, voguer vers le sud, passer par un chenal suspendu dans le temps du luxe, du calme et du lin blanc et s’apercevoir que, là aussi, les falaises sont trop dangereuses pour nos bras en guimauve.
Paxos, ç’aurait pu être la frustration de ne pas réussir à pagayer autour de ce petit bout d’arbres, de falaises et de grottes. Ç’aurait pu être la fatigue en découvrant que les bus ne passent pas le seul jour où l’on en a besoin. Ç’aurait pu être la déception de ne pas avoir sauté sur l’occasion lorsqu’un fou des vagues nous a proposé de transformer Léon en bouée tractée.
Pourtant, Paxos, c’est la poésie des oliviers, c’est le seul phare de la mer Ionienne et la gentillesse d’un serveur qui ne voit aucun inconvénient à ce qu’on laisse 30 kg de bagages aux portes de son restaurant.
Le revers de l’île
Le temps d’un demi-tour, Paxos nous a offert une explosion de bonheur ionien.
Après notre escapade à Corfou, je ne pensais pas que la mer ionienne n’était autre qu’une mer de paradis aux vents, aux vagues et à la houle capricieuses. Je ne pensais pas qu’ici, les boulangeries laissaient leurs tables, leurs chaises et le sucre à l’extérieur, sans chaîne ni caméra. Je ne pensais pas qu’il y avait des châteaux au pied desquels on pouvait dormir en se faisant discrète. Je ne savais pas qu’il était possible de regarder vers l’est et de succomber au charme d’un soleil qui se couche dans la certitude d’un lendemain heureux.
Le temps de balades improvisées, Paxos nous a offert ses plus beaux côtés, ceux que seule la hors-saison sait dévoiler.
Après notre escapade à Corfou, j’aurais pu me douter que la mer ionienne, c’est le paradis du tourisme qui se masse là où les photos récoltent des likes. J’aurais pu imaginer les dizaines de voiliers qui s’amassent dans les mêmes criques. En voyant les mêmes bâteaux déverser leurs flots de smartographes tous les jours, au même endroit et à la même heure, j’aurais du comprendre à quel point le paradis est un enfer de masse l’été venu. Mais, comment critiquer ces gens du bout du monde qui viennent voir les trésors de la mer ionienne. Après tout, si on est là, avec notre kayak gonflable, nos rires en pagaille et nos repas 100 % semoule, c’est parce que, comme d’autres touristes, nous avons fait de nos rêves d’ailleurs une vie de vadrouilles. A la seule différence que c’est la lenteur de nos corps qui dicte nos lendemains voyageurs.