Le lac Saimaa en kayak : la Finlande vue de l’eau

En juin 2024, je débarque à quelques encablures du lac Saimaa avec un kayak gonflable, un binôme de pagaie et des rêves plein les mirettes. Ce récit est celui d’une aventure sans avion mais pleine d’imprévus. Pour aller plus loin, vous pouvez découvrir les images du périple en story à la une et sur le feed de mon compte Instagram.

Les saisons, c’est comme les voyages. À peine arrivée, on sait déjà que l’on va repartir. Alors, les sourires s’enchaînent, les rencontres s’embrassent et, pour jouer contre le temps, on transforme le printemps en souvenirs. Des souvenirs à trois, à deux, ensemble.

Les voyages, c’est comme les saisons. Le sac n’a pas le temps de prendre racine, qu’il se remplit déjà de nouveaux rêves à conquérir. Alors, pour étirer les séparations, on fonce. On se fraie un chemin dans des sourires à créer à deux, à trois, ensemble.

Parce que l’éphémérité est reine en voyage et en saison, le temps ne pose pas de question. Alors, on part. On construit un voyage ensemble, à trois, à deux. Au moins le temps d’une saison.

Du kayak à la Finlande : une histoire de pesto

Ce soir là, le pesto coulait à flot. Les plans fusaient sur la comète de nos rêves post-saisonniers. D’un verre à l’autre, on se resservait nos souvenirs de bivouacs, de rires, de kayak et d’aventures. D’une bouchée de pâtes à l’autre, il s’imaginait m’emmener sur les flots de l’Ardèche. Je le convainquais de voguer sur le calme de la houle finlandaise.

Le pot de pesto à peine fini, on prenait un aller simple pour Helsinki. 30 h de ferry. Pour la suite du voyage, il ne nous restait plus qu’à trouver des bus, un train, une mise à l’eau, une carte pour les bivouacs et un kayak gonflable. Bref, on était prêts.

Saimaa, un lac aussi grand que nos rêves

Parfois, un simple regard suffit. Un regard jeté au hasard d’une carte.

La Finlande compte environ 200 000 lacs. Deux cents mille. {Soupir de celle qui n’arrive pas à s’imaginer un chiffre aussi grand. Aussi vaste. Aussi fou de possibilités à pagayer.}

Parmi ces 200 000 lacs, il y avait cette tâche bleue parsemée de vert. Une tâche pleine de promesses, d’îles, de phoques, de goélands et de mouettes rieuses. Une tâche accessible sans avion et sans voiture. Bref, la tâche parfaite parsemée de tâches tout aussi parfaites.

Cette tâche, c’est le lac Saimaa. Ce lac, c’est le quatrième plus grand d’Europe. C’est une étendue grande comme une demi-Corse ou plus de 13 fois Malte. C’est une un lac si grand qu’il donne envie de faire des comparaisons absurdes entre sa superficie, celle de Malte ou d’une Corse coupée en deux.

Pour y accéder, rien de plus simple : depuis le port de Travemünde, au nord de l’Allemagne, il nous faudrait monter dans un ferry. Pendant deux nuits et un jour, on y dessinerait nos rêves, on larguerait nos imaginaires dans les eaux de la mer Baltique. À l’arrivée, il suffirait d’acheter un billet de bus sans comprendre le principe des zones, faire trois changements, s’apercevoir que les voyages en train sont quasiment aussi chers qu’en France puis arriver à Lappeeranta. De là, le voyage sur l’eau pourrait commencer.

De Lappeeranta, le voyage en kayak commencerait par le sourire des locaux et un joyeux « bonne chance avec les moustiques ! » Une menace ? Une mise en garde ? Confiante du souvenir de mon périple en Suède, en packraft et sans moustiques, je rassure mon binôme de pagaie en lui parlant de l’humour finlandais.

D’ailleurs, s’il y avait vraiment eu des moustiques, aurait-on aussi bien dormi le premier soir ? Après avoir transformé une île en rond-point, affronté le vent, la houle et les courants et après avoir croisé un castor, aurait-on su profiter de la douceur d’un laavu (refuge/abri dans les pays du Nord) ? Aurait-il pu essayer de monter sa canne à pêche au soleil couchant qui ne dort jamais ? Aurais-je pu me perdre balader dans la forêt en me demandant si j’étais suivie par un ours ? Aurait-on pu, sans exagération aucune, sourire à ce paradis qui s’étendait devant nous ? Il semblerait que oui.

Soyons honnêtes, si la réputation de l’humour finlandais n’a jamais atteint nos esgourdes, c’est peut-être parce que, quand les locaux parlent de moustiques, ils ne rigolent jamais. Mais ça, nous l’apprendrons aux dépens de longues minutes à se gratter.

La division du lac Saimaa version kayak

D’après Wikipédia, le lac Saimaa se divise en trois zones. Je dois t’avouer, que si je suis d’accord avec cette information, je n’ai pas lu la suite de l’article. Après tout, à quoi bon passer des heures sur Internet quand la réalité s’étale sous nos pagaies ?

Du vent a la houle en passant par les courants et les moustiques, le lac se raconte donc en trois zones :

  • La zone des grands lacs
  • Les petites îles
  • Le Nord

Les grands lacs du lac Saimaa

Le sud du lac Saimaa ne ressemble pas au sud. Il n’y a pas de linge étendu sur la terrasse. Il n’y a pas plein d’enfants qui se roulent sur la pelouse, ni de chiens ni même de chat, une tortue ou des poissons rouges. Pourtant, c’est joli.

C’est joli comme un début de voyage. Un voyage qui commence avec le crachin, invité à l’heure où le kayak se gonfle. Il commence par ces sacs qui s’installent sans trop savoir comment à l’arrière du bateau et par nos mains retrouvent leur place sur la pagaie.

Droite.
Gauche.
Droite.

Le rythme se trouve. Il nous embarque vers le large puis à droite. Il nous transporte jusqu’à une Île. Tiens, il devrait y avoir un pont. Tiens, ce n’est pas la bonne île.

Gauche.
Droite.
Gauche.

Le rythme s’installe. On vogue jusqu’à un pont. Une île. Notre premier lieu de bivouac. Ce soir là, mon binôme de pagaie tombe en amour pour la Finlande, son soleil qui fait des nuits blanches, la facilité d’une nature aussi propre que potentiellement parsemée d’ours et de gloutons. Il tombe en amour pour cet horizon plein de possibles, pour cet itinéraire que nous dessinerons d’un coup de pagaie à l’autre, pour ce voyage qui ne fait que commencer.

Ce soir-là, je retrouve ce qui m’avait émerveillé en Suède. Les arbres qui dansent dans le vent, les refuges, la solitude des îles et le rose de la nuit. Je retrouve mon amour pour ces voyages aquatiques, la lenteur des bras en guimauve et ces possibles qui se dessinent derrière chaque horizon.

Ce soir-là, on ne sait pas encore que la zone des Grands Lacs sera celle des tours et retours.

Dès les premiers jours, son épaule se rebelle. Si son corps se souvient des podiums, des compétitions, des montagnes à rider et des heures de kayak en Ardèche, il se souvient aussi des fractures non soignées, de la tendinite en hibernation et de la douleur. Cette douleur s’installe petit à petit dans son sourire. Sans crier gare, elle transforme son souffle en râle de silence. Alors, l’itinéraire sans direction de ce voyage, prend la route d’un retour vers Lappeeranta. Le temps d’un repos.

Du repos, on repart sur les Grands Lacs. Ces lacs que l’on dit pluriel alors qu’il est seul. Ici, il n’y a que lui. Lui et ses 13 700 îles. Le lac Saimaa. Il est seul et unique mais, jour après jour ses paysages changent. Une piste de ski sur une colline de 70 m de haut, des champs de roseaux, d’immenses usines à bois, des bateaux de plus de 500 tonnes, des plages où s’abattent les vagues, des rochers de lichen et des forêts. Les changements sont si doux qu’on ne saurait les décrire. Pourtant, on sait qu’ils sont là, dans la lumière sur l’eau, dans le chant des arbres, dans le vent, la houle et les courants.

A l’est du sud des Grands Lacs du lac Saimaa, on repart pour un tour. Au loin, un ours. Au plus près de moi, sa douleur. Elle envahit le kayak dans le silence de ses plaintes inexistantes. Elle est si présente qu’elle ne nous laisse plus d’autre choix : retourner en ville. Après un dernier tour. Le temps d’un repos.

Les petites îles du lac Saimaa

Au nord des Grands lacs, il y a un étroit passage. Une frontière entre les vents puissants du sud et les petites îles. Une frontière pleine de promesses et de rêves. Pour y accéder, il serre les dents. La tendinite est là. Elle fait partie du voyage. Invitée clandestine sur le chemin de nos rêves, elle vit désormais avec lui. En lui.

Pour contrarier cette douleur, on guette la météo. Elle hurle lorsqu’on oublie de faire des pauses ? La cafetière n’est jamais loin pour un petit café avec vu sur les canards. Elle aime les vents de face ? On ne navigue plus que les jours de pétole. On essaie de ne pas trop se perdre dans les méandres des rafales.

Malgré la douleur, la frontière se rapproche. Malgré le vent, on avance.

On sait que derrière la frontière, des petites îles nous protégeront d’une échelleau nom de fromage. On sait que, là-bas, à 25 km, il y a une zone de bivouac. Il y a du temps pour le repos. On sait aussi que demain les rafales seront si fortes qu’elles cloueront le kayak au sol, elle nous imposeront des jours et des jours de plage, elles s’installeront pour le reste des vacances. Alors, malgré la douleur, il prend la pagaie. Malgré le vent qui ne disparaît pas, on avance. De nuit.

Seuls sous le soleil de 22 h, on se met à l’eau. On sourit aux lueurs du soir, on passe la frontière. Une frontières qui n’existe que sur la page Wikipedia que nous écrivons dans le vent. Seuls, dans cette nuit blanche, on pagaie sans pause. On se fait harceler par un goéland insomniaque, on rit à la beauté des paysages, on dévore des biscuits en miettes et on sait que le voyage vient de prendre un nouveau virage.

Le lac n’a pas changé. Pourtant, tout a changé. Les eaux du lac Saimaa ne connaissent pas de frontière. Pourtant, nous venons d’en passer une. Dans l’imaginaire de ce voyage à pagayer, nous venons de changer de monde. De decors. De possibles et d’aventure. Nous ne pagayons plus sur les Grands Lacs du lac Saimaa mais entre les îles et dédales sans fin de tours et détours.

Dans ce nouveau monde, nous louvoyons jusqu’à la fête du solstice d’été. Une fête sans musique, sans rires, sans joie mais avec un feu allumé comme par mégarde. Nous pagayons sous une averse qui lacère les eaux du lac et nous nous protégeons d’une mer lacustre qui se déchaîne.

Dans ce monde d’îles, notre horizon s’arrête là où commence la beauté des forêts, des rochers et des pauses en devenir. Nous y croisons un phoque curieux, il y pêche du poisson, je m’y balade entre des nuées de moustiques, nous vogons dans un canal et nous surprenons une loutre surprise.

Dans ce nouveau paradis d’îles, nous luttons contre le vent, nous écopons l’eau qui transforme le kayak en baignoire flottante et nous comprenons que la tendinite n’a pas brûlé dans le solstice d’un été finlandais.

Malgré la douleur, il pagaie. Malgré le vent qui zigzague entre les îles, nous avançons.

Nous avançons clopin-clopant jusqu’à Pumalaa. Nous ne le savons pas encore mais ce camping avec sauna, cette cuisine qui nous sert de QG, ce barbecue autour du quel nous accueillerons rires et commérages seront le point final de notre voyage en kayak. En duo. Sur les eaux du lac Saimaa.

Le Nord du lac Saimaa

Entre nos retours du sud et nos aller-détours dans la zone des petites îles, est née en moi l’envie d’aller vers le Nord. Le Nord du lac. Pour atteindre ce nord, il y aurait une nouvelle frontière a traverser, celle marquée par un château.

Mais, en kayak, c’est le corps qui dicte les envies. À deux, c’est le respect de l’autre qui marque les frontières.

Lui, voulait continuer. Il ne pouvait plus tenir sa pagaie, sa respiration se transformait en chant de douleur mais, têtu comme un sportif de haut niveau, il voulait aller jusqu’au bout. Même s’il savait que la tendinite avait déjà gagné la partie. Même s’il savait qu’ici, entre les grands lacs et les petites îles, il risquait d’offrir a la douleur son dernier sourire.

Moi, je voulais continuer. Je voulais voir le château et aller dans le Nord. Je voulais qu’il aille mieux. Je voulais pagayer quitte à l’installer dans une bouée-canard et le tracter à la force de mes bras en guimauve. Même si je savais que la fin était déjà écrite. Même si je savais qu’ici, entre les petites îles et les grands lacs, j’aurais du mal a trouver une bouée-canard.

Lors d’une dernière pause café, je lui ai posé un ultimatum : soit on fait demi-tour maintenant, soit on fait demi-tour maintenant. Le choix a été dur. Alliée avec sa douleur, nous lui avons fait comprendre qu’il n’avait plus vraiment d’option. Elle ne le laisserait pas tranquille. Moi, je ne serais pas tranquille en le sachant adolori.

Il a jeté son hésitation au fond de la tasse à café. Son sourire s’est effacé. Il a choisi de faire demi-tour maintenant.

Le lac Saimaa en kayak, mais pas que

Nous sommes rentrés au camping. La cuisine, le sauna et les commérages étaient encore là. On a bu à la santé de la tendinite. On a ri à la beauté du chemin parcouru et, avant de replier le kayak, j’ai été pagayer seule dans la douceur d’un soleil qui fait semblant de se coucher.

Les jours qui ont suivi ont été égrenés de canicule, de balade sur l’eau pour moi, de partie de cache avec les poissons pour lui. On a semé sur nos souvenir de Finlande des heures passées a boire du café, une location de voiture et des allers-retours à l’hôpital car son corps nous réservait encore quelques surprises.

Un voyage en kayak, en Finlande ou ailleurs, c’est aussi prendre le risque de voir des rêves se dessiner dans l’ombre du vent. À l’abri des projets, ils se laissent porter loin des possibles. Lovés dans la réalité du quotidien, il ne nous reste plus qu’à réinventer nos rires sur les aléas de l’aventure.

La Finlande vue de l’eau

Pour retrouver le plancher des vaches tarines, on a refait le chemin en sens inverse. On a compris le principe des zones, on a changé trois fois de bus et on a encore pensé au prix excessif des voyages en train. Au port, on a retrouvé nos places sur le ferry. Pendant deux jours et une nuit, on a repensé à l’île en forme de crabe, au refuge rien que pour nous, à nos copains du restaurant de Lappeeranta, à ces écureuils qui font la taille de mammouths géants, aux bivouacs solitaires, aux autoroutes lacustres et à nos bras en guimauve qui nous ont fait rêver sur plus de 300 km.

Aujourd’hui, assise sous le soleil de mes souvenirs, je m’apprête à ouvrir la carte du monde. Je sais, qu’ici ou là se trouve une tâche verte parsemée de bleu. Une tâche de lacs ou de rivière que mon coeur ne demande qu’à pagayer.

5 réflexions sur “Le lac Saimaa en kayak : la Finlande vue de l’eau”

  1. C’est toujours un plaisir de suivre tes escapades: entre ta magnifique plume et tes superbes photos.
    Je suis fan de tes voyages en kayaks gonflable ça fait rêver. Un jour peut-être je tenterai

    1. Très joliment écrit , je retrouve bien l atmosphère de ce coin de Finlande, les « nuits » oû le soleil part se cacher juste derrière l horizon pour quelques heures.
      A refaire en hiver ( sans kayak évidemment), mais à pied, les finlandais rencontrés nous ont dit qu une grande partie des lacs pouvaient geler

      1. Merci beaucoup pour ce commentaire.
        Le rêve d’y retourner en hiver s’est aussi installé en nous. L’ambiance doit être magnifique entre les lacs gelés et les forêts enneigées. Reste plus qu’à savoir si on s’habitue au manque de luminosité !

    2. Merci beaucoup ! Depuis que j’ai découvert le kayak, je n’arrête plus. Je profite de chaque été pour faire un voyage en kayak gonflable et je ne regrette jamais. Au contraire, j’ai envie d’en faire toujours plus. Si un jour tu as l’occasion de tester, fonce !

      1. Suis déjà accro aux expés en Kayak gonflable ! L’ écosse sur rivière et Loch, île de Senja en Norvège et lacs en Finlande….
        c’est effectivement additif et ça offre une grande liberté

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