Cette note du lundi a un goût amer, un goût de café froid baigné de larmes (les autres ont le gout des galères et tu peux les retrouver ici).
Un anniversaire sans fête
Aujourd’hui mon père a 66 ans. Aujourd’hui je ne le verrai pas souffler ses bougies, comme d’habitude. Mais cette année je ne raterai pas la fête parce que je suis loin. Cette année il n’y aura pas de fête. cette année mon père a 66 ans à l’hôpital.
Alors, assise dans un café de Novo Mesto, je noie ma peine dans des larmes au goût de café.
Pour essayer d’échapper à la pluie j’ai poussé la porte de bois d’un café sans nom. Je pensais y trouver le réconfort de mon carnet à noircir mais force est de constater que je peine à transformer mes souvenirs en mots heureux. Baignée par la douce odeur de la caféine je pensais écrire pour te remercier de tes petits mots et gentils conseils lorsque mon genou a décidé de doubler de volume. Je pensais te dire que je t’ai écouté autant que j’ai écouté mon corps et que j’ai pris trois jours de repos. Trois jours de vacances dans mon voyage. Trois jours à ne rien faire d’autre que lire, écrire et regarder les eaux du lac scintiller.
Je pensais pouvoir te raconter qu’après ces trois jours loin des sentiers à battre j’ai repris mon chemin vers les routes désertes. Pendant 70 Km j’ai laissé la pluie fouetter mon sac toujours trop lourd, j’ai traversé des forêts et me suis perdue sur des sentiers inconnus. Pendant plus de deux jours j’ai retrouvé le plaisir de sentir mes muscles me demander une sieste, j’ai couru pour échapper à l’orage et j’ai dormi entouré de sangliers un peu trop curieux. Ces quelques kilomètres ont défilé sous mes semelles sans même que je ne m’en rende compte. Mon corps reposé a retrouvé le sourire des premiers jours et c’est le cœur apaisé que j’ai déposé ma tente tout près d’une fourmilière.
En entrant dans ce café boisé je pensais donc te raconter mille et unes merveilles slovènes. Pourtant, les mots qui me viennent sont fades, insipides. Ni le goût amer de la pluie n’arriverai à leur donner la beauté de la joie ressenti au milieu des champs de fleurs.
Aujourd’hui mon cœur pleure et tous mes souvenirs s’envolent vers le Portugal.
En devenant nomade je savais que mon absence brillerait sur des photos heureuses. Je savais que je ne serai pas là pour ses premiers rires, que je ne la verrai pas dans sa robe blanche et que parfois je ne pourrais pas sécher ses larmes. Devenir nomade c’est accepter que la vie continue, ailleurs, loin de nous. Vivre sur la route c’est aussi prendre le risque de ne pas pouvoir leur dire « au revoir »… (sur le sujet : l’article « Je t’aime mais je pars »)
Un coup de téléphone et tout fout le camp
Perdue dans une forêt slovène je laisse mes yeux vagabonder entre mes cartes et la réalité. Des sentiers n’existent pas, d’autres sont gardés par des molosses faussement sympathiques. Alors que je me résout à suivre le goudron, mon téléphone sonne.
« Céline, ton père est à l’hôpital »
La Terre arrête de tourner. Je me fige. Je continue à avancer. Ma mémoire se brouille et je ne sais plus où je suis. Immobile, je me fonds dans l’asphalte.
Je raccroche.
Je reprends la marche. Ou je m’arrête peut-être. Les sentiers tournent autour de moi et les aboiements tintent au son des cloches.
Je sens les larmes de mon cœur se frayer un chemin jusqu’à mon sourire. Mais à quoi bon pleurer ? Est-ce que ma tristesse le fera sortir de sa chambre blanche ?
Je suis perdue. Je me sens perdue. Il ne me reste qu’une seule chose à faire : marcher.
Je me robotise et je marche. Mes pieds connaissent le rythme et je les laisse m’emporter vers l’Est.
Pendant 20 Km je pense à Elle, à Lui. Je pense à son père malade. Elle, elle rêvait de partir en Erasmus mais avait peur de ne plus le revoir. Lui, l’a poussé à réaliser son rêve et lui à dit « au revoir », juste au cas où.
Puis je pense et repense à Lui. Parti en laissant derrière lui un père malade il pensait le revoir à son retour. Mais la maladie en a décidé autrement. A cause de la lenteur d’une bureaucratie déshumanisée il n’a pu rentrer en France que le jour de l’enterrement. Si son assureur avait eu un cœur il aurait peut-être pu lui dire « au revoir », pour toujours.
Beaucoup de questions et peu de réponses
Ce coup de téléphone, on le craint tous. Trois sonneries et une vie peut basculer. Ou s’arrêter. Que l’on soit en all inclusive à Djerba, en train de boire un thé au lait de yak en Mongolie ou perdue dans une forêt slovène, le téléphone peut sonner.
Ce risque n’est pas l’apanage des nomades. Seulement, lorsque l’on vit sur les routes d’ailleurs à découvrir, le coup de téléphone apporte avec lui son lot de questiosn. : rentrer ou continuer à marcher ? Par où passer pour rentrer lorsque l’on est en plein milieu de nulle part ? Chez qui rentrer ? Rentrer pour mieux repartir ou mettre un terme à ce voyage ? Restera-t-il en vie jusqu’à l’expiration de mon billet retour ? Et si je me posais trop de questions et qu’il était déjà trop tard ? Et si derrière notre dernier « au revoir » se cachait un « adieu » ?
Aujourd’hui, assise dans ce café de Novo Mesto je cherche mes réponses. Je sais que je suis la seule à pouvoir les trouver, à savoir que faire, où aller et quand partir. Je sais que chaque situation est différente et que chaque voyageur, chaque nomade, chaque touriste et chaque vacancier créé sa propre réponse mais aujourd’hui j’avais besoin de transformer en mots ce goût amer de pluie froide.
Même si mon sourire a disparu de ma route depuis plusieurs jours je continue à marcher, cap à l’Est !