Le 27 avril ma mère me déposait dans une petite auberge d’Avsa, près de la frontière italo-slovène.
Perdue au milieu de champs de fleurs sauvages je regardais les montagnes alentours. Qu’est-ce qu’il m’a pris de me lancer dans l’aventure #capalest ? A quel moment j’ai eu l’idée d’annoncer au haut et fort sur tous les réseaux sociaux que j’allais traverser un pays à pied ?
Ce 27 avril je l’ai passé à faire et défaire mon sac, à regarder encore et encore mon itinéraire. Complètement shootée à l’adrénaline et à la dopamine, je ne savais plus si j’étais heureuse ou stressée, paniquée ou enthousiaste. J’avais peur mais je sentais que pouvais vaincre Goliath les yeux fermés et à cloche-pied. Je me sentais forte et incapable de gravir la moindre montagne. Pourtant, je n’avais plus le choix : les routes de l’Est m’appelaient.
Le 27 avril, c’était il y a 44 jours.
44 jours de sourires, de pluie, de vent, de brouillard et de chaleur étouffante. 44 jours de joie, de solitude, de désespoir et de « je n’en peux plus de ces côtes interminables. Pourquoi on n’installe pas d’escalators sur les montagnes ? »
44 jours de marche, de repos, de doutes, d’aller-retours et de galères.
Ces 44 jours sont passés en un quart de seconde. Un battement de paupière et me voilà en train de revivre chaque minute passée à vivre le voyage le plus difficile de ma vie.
La monotonie de l’ennui
Depuis que j’ai quitté Novo Mesto les paysages s’enchaînent et se ressemblent. Le soleil allonge les lignes droites déjà trop longues, l’odeur du goudron remplace les parfums de fleurs de champs et pour la première fois je ressens de l’ennui en marchant. Bizarrement je reste motivée. Chaque pas me fait prendre conscience de ce qu’il se passe : j’avance vers l’Est, seule et à pied ; j’avance à mon rythme et je vais bientôt terminer la traversée de la Slovénie.
A l’Est les animaux se font plus discrets : un faisan, quelques biches et un lièvre m’offrent des sourires éphémères mais, la plupart du temps je ne vois que les cadavres de reptiles sécher sur la route.
Sur ce plat éternel l’effort n’est plus le même : j’avale les kilomètres sans les compter, je cherche la moindre côte dans l’espoir de réveiller ces muscles qui sombrent dans l’oubli, je zigzague sur les routes esseulées pour profiter de chaque centimètre carré d’ombre.
Sur le bitume la peur m’envahie, parfois. Mon sac rose fluo sur le dos je sais que les automobilistes me voient. Je sais que sur ces lignes droites sans fin, sans personne, ils ont le temps de ralentir, de se déporter et même de mettre leurs clignotants. Mais peu de conducteurs prennent ces quelques secondes pour éviter de me frôler.
Sur les routes de l’Est il n’y a ni trottoirs ni bas-côté où me réfugier. A droite ou à gauche, de face ou de dos, je sens le vent de la vitesse me pousser. Pour éviter tout pas de travers je regarde droit devant moi, je fixe l’horizon. Le danger passé, je souffle : est-ce qu’une fois dans la voiture ces chauffards oublient qu’eux aussi sont piétons ? Ne savent-ils pas que fasse à leur tonne de tôle mon corps ne peut faire le poids ? Est-ce qu’ils pensent que je marche sur ces routes pour les embêter ? Ne comprennent-ils donc pas que le territoire n’a pas été aménagé pour les piétons ?
Pour pallier à la monotonie de l’Est je m’enfonce sur des sentiers qui n’existent que par et pour les animaux. Je me perds dans les forêts, je transforme des raccourcis en détours et je me fatigue pour le plaisir de regarder une biche se désaltérer. Je me perds pour vivre des instants uniques et expérimentes les sentiers que je n’aurais, peut-être, pas dû battre.
L’Est : là où les sentiers ne sont pas battus
Plus je m’avance vers l’Est et plus les endroits où poser ma tente sont rares. Ici tout est champ et culture, tout est jardin et pavillons. Comment font les animaux sauvages pour trouver calme et tranquillité ? Où vont-ils se cacher lorsque la nuit tombe sur l’Est ?
Plus je m’avance vers l’Est et plus je m’éloigne des endroits touristiques. Je passe aux abords de certaines villes qui attirent l’œil mais je cherche encore et toujours ces petits villages aux odeurs de ferme.
La Slovénie de mes premiers jours est loin derrière moi et, c’est en voyant ces paysages monotones que je réalise que je viens de marcher près de 700 Km.
Arrivée à Moravske Toplice je sens le vent de la fin souffler sur mon sourire. Je ne suis plus qu’à une quinzaine de kilomètres de la frontière hongroise. Ces 15 kilomètres je les passe en sourire. Les paysages sont tout aussi plats que ceux des 100 derniers kilomètres mais ils ont une autre odeur, un autre goût. Ce sont les derniers, ceux que je cherche depuis mon départ.
La Hongrie : fin de d’une traversée
Prosenjakovci. La frontière est là, à 1,5 Km. En 15 minutes me voilà face au panneau hongrois. Je n’en reviens pas. En un peu plus d’un mois, en 4 semaines de marche, en presque 700 Km j’ai traversé la Slovénie à pied d’Ouest en Est. En 700 Km j’ai ri, j’ai pleuré, j’ai eu peur et surtout j’ai souri. En 700 Km j’ai partagé mon bonheur avec des centaines d’inconnus, j’ai mangé de la semoule froide, j’ai eu peur pour mon genou et j’ai crié sous la pluie.
En 700 Km j’ai réussi à me prouver que malgré l’arthrose, l’asthme, mes problèmes d’intestins, mes genoux qui ne tiennent que grâce à des vis et mon dos tordu, je peux traverser un pays à pied, mon sac toujours trop lourd sur le dos.
Ma traversée de la Slovénie à pied et en solo se termine sur des selfies ratées. Rien ne distingue la Slovénie de la Hongrie. Le sourire aux lèvres et la fierté dans les mollets, je fais demi-tour.
Je reste encore une petite semaine dans ce pays qui m’a montré ses plus beaux sentiers, ses plus beaux villages et ses plus horribles routes. Je passerai la semaine à écrire au son du vent dans les arbres, à rêver d’ailleurs et à préparer mes prochains voyages.