Quand la ville est grise
Il est de ces villes où tout est gris, même la vie. C’est le cas de Krško en Slovénie. Aujourd’hui, ici, ce n’est peut-être pas la vie qui est grise mais juste cette centrale nucléaire qui gâche le paysage, juste ma solitude qui s’étale dans un dortoir toujours trop vide, juste ce manque de café sympa où laisser mes mots danser sur le papier.
Comme à mon habitude je cherche le beau, ce petit rien qui m’offre un sourire, ces quelques secondes de joie, de couleurs ou de rires qui transforment le gris de la ville en un arc-en-ciel de découvertes.
Je sais que ce beau existe, qu’il est là, quelque part. Je sais qu’au détour d’un pavillon endormi je trouverai un jardin fleuri, je passerai mes mains dans une forêt de lavandes, je découvrirai une statue cachée sous un lit de mousse.
Enfin, c’est ce que je croyais.
A Krško il n’y a ni statue endormie, ni bougainvilliers en fleurs.
A Krško il n’y a que cette centrale nucléaire qui danse au rythme d’un fleuve marron.
Peut-être que mes yeux, aveuglés par la grisaille de la solitude ne voient que mon envie de repartir d’ici.
Peut-être cette solitude que j’ai chérie et cherchée pendant un mois commence à laisser s’abattre sur mon sourire son pesant d’ennui.
Peut-être…
Une Céline à Celine
Le meilleur remède contre le gris et la solitude est la marche.
Alors, dès les premiers rayons de soleil je chausse mon sourire et pars à la conquête de Celine.
Je pensais que ce détour de plus de 30 Km n’aurait d’autre intérêt que celui de me prendre une photo devant mon prénom écrit noir sur jaune. Mais, à force de faire des tours dans le détour j’ai transformé cette journée de monotonie goudronnée en exploration de sentiers forestiers inexistants. J’ai cherché, en vain, comment échapper au gris de l’asphalte. J’ai découvert, sans le chercher, que certains chemins n’ont été tracé que par et pour les animaux à quatre pattes. Et malgré mes 600 Km dans les mollets, je ne fais pas partie de cette élite animale.
Le sourire au lèvre et le téléphone plein de selfies ratés, je rentre à l’auberge pour retrouver la solitude de mon dortoir.
Enfin, c’est ce que je croyais.
Après l’effort, le réconfort les galères
A peine arrivée la réceptionniste me cours après et, d’un sourire heureux me montre un énorme sac poubelle : « j’ai mis toutes tes affaires ici ! »
Un tantinet surprise j’explique que si j’ai laissé des chaussettes à sécher, c’est parce que je voulais rester une nuit de plus dans le gris de la ville.
Impossible ! La quasi totalité de l’auberge est pleine de journalistes polonais venus couvrir une course de motos et personne ne veut me laisser, moi la voyageuse solo, dormir au milieu de tant de testostérone.
Un tantinet désemparée j’explique que cela ne me dérange pas (je me garde de mentionner le fait que s’il le faut je dormirai avec mon opinel ouvert). Non ! La directrice refuse, je suis à la rue.
Est-ce que si j’avais été un voyageur solo et que des journalistes polonaises étaient venues couvrir une course de moto on m’aurait empêché de dormir au milieu de tant d’œstrogène ? J’en doute…
A cause de cette course de motos, unique événement de l’année qui apporte du bruit au gris de la ville, tous les hôtels sont plein. Il ne me reste plus qu’à courir jusqu’au prochain train pour Brežice, marcher 3 Km et trouver un lit en auberge de jeunesse.
Mon sac toujours trop lourd sur le dos j’oublie la fatigue musculaire et fonce dans le gris de Krško.
J’arrive juste à temps pour monter dans le train et m’affaler dans le moelleux d’un compartiment isolé. Même à travers la vitre du soir j’ai du mal à m’émerveiller devant le plat des paysages.
En pleine réflexion sur ma décision de ne jamais traverser la Beauce à pied et en solitaire, le contrôleur arrive et me rouspète : d’après le ton de sa voix et ses yeux gros je viens de rater mon arrêt.
Entre larmes et rire je raconte mes déboires à ma co-voyageuse inconnue. La compassion fait chanter sa voix : le prochain train est dans plus d’une heure mais, à la prochaine gare, perdue au milieu de nulle part, il y a un hôtel avec piscine.
Une douche, quelques longueurs et me voilà en train de rire de ma journée dans une piscine à remous. Après plus d’un mois sur les routes, à dormir de campings en bivouacs, d’hôtels miteux en auberges de jeunesse, tant de luxe me paraît irréel !
Le plat de l’ennui
Les batteries rechargées à bloc, je reprends le train vers l’Est. Ou presque.
Je reprends ma route là où je l’avais laissé. J’ai envie de marcher, de me perdre dans l’odeur des fleurs sauvages, de traverser des villages isolées et de sentir les herbes folles caresser mes bras dénudés. J’ai envie de retrouver mon sourire des premiers jours et de me retrouver en tête à tête avec cette motivation qui me pousse vers l’Est.
Je marche le cœur heureux et les yeux plissés par le soleil d’été.
Je marche en longeant un fleuve, une autoroute et une voie de chemins de fers.
Cette région ne m’offre pas le sourire attendu. Ici les arbres ont fait place aux pylônes électriques, les zones pavillonnaires sans âme ont remplacé les villages aux odeurs de ferme. Ici les sentiers de traverse ont disparu et seule le goudron abîme mes semelles solitaires. Je marche sur des piste cyclables, je longe des champs monochrome et avance sans surprises. Les kilomètres s’étirent vers l’infini et le soleil tant rêvé me ferait presque transpirer des paupières.
L’ombre est rare et, lorsque je trouve un muret où m’asseoir, personne ne vient tester mon niveau de slovène.
Pourtant je continue car je sais qu’un voyage n’est jamais tout rose. il est parfois moucheté de gris. Je continue parce qu’en décidant de traverser un pays à pied je n’ai pas choisi de passer des vacances dans des lieux paradisiaques prévus pour vendre du rêve sur Instagram.
En décidant de traverser un pays à pied j’ai choisi de découvrir ses merveilles et ses champs, ses villes et ses montagnes. J’ai choisi de voir du réel et de sortir des sentiers trop battus par les touristes.
Dans quelques jours j’atteindrai la frontière hongroise. Dans quelques dizaines de kilomètres je pourrai écrire que j’ai traverser la Slovénie d’Ouest en Est, à pied et en solo. Dans quelques heures d’effort goudronné je changerai, encore une fois, d’itinéraire.
Après avoir atteint la frontière je resterai une semaine en Slovénie pour randonner sur des sentiers de terre, cap ailleurs !