« Tu es vraiment courageuse pour faire ça ! »
(Eux)
Partir vivre quelques mois ou plusieurs années à l’étranger est un bon moyen pour épater la galerie. Au moment du départ, en soirée avec des inconnus ou en balade dominicale, le baroudeur s’entend souvent dire qu’il est courageux de partir, de tout quitter pour tenter l’aventure. Pourtant, du courage, il ne m’en a jamais fallu pour partir. Non, moi le courage j’en ai besoin au moment du retour, lorsque l’envie de sédentarité me titille, lorsque rêves de liberté et d’enracinement se chamaillent.
Le courage du retour
Si personne ne m’a jamais dit que j’avais du courage pour rentrer « chez moi » c’est parce qu’ils ne se rendent pas compte. Ils ne se rendent pas compte que « chez moi » n’est plus seulement une maison dans le sud de la France mais qu’il s’agit de tous ces endroits où je sème quelques miettes de mon cœur. Ils ne se rendent pas compte qu’il faut du courage pour admettre qu’un amour est impossible. Ils ne se rende pas compte que la seule solution pour ne plus souffrir est de traverser l’Atlantique…
Ils ne se rendent pas compte que le regard des autres peut être douloureux lorsque l’on décide de « rentrer ». Rentrer avant la date retour qui n’existait pourtant pas. Rentrer avant d’avoir fait le tour du monde mille et une fois. Rentrer avant d’atteindre l’Alaska. Rentrer, pourtant, avant qu’il en soit trop tard.
Ils ne se rendent pas compte qu’à l’étranger on se construit une nouvelle famille, une nouvelle vie, un nouveau soi en mieux. En moins bien. Mis entre parenthèses indéfinies leur souvenir heureux devient douloureux. Oui, il faut du courage pour ne pas laisser un « au revoir » se transformer en « à jamais ».
Ils ne se rendent pas compte que « là-bas » on change. A chaque retour on doit alors se réadapter, essayer de se remémorer qui nous étions avant le départ, comprendre les comportements et les attentes de ses parents et de ses amis restés au pays. Devenir soi, à nouveau.
Le soi « d’avant ».
En mieux.
En moins bien.
A l’heure des retrouvailles la joie et les larmes s’engouffrent dans le sourire du voyageur. Oui, je suis heureuse d’être là, de retour, même si je n’ai pas le tour du monde mille et une fois. Même si je n’ai pas atteint l’Alaska. Oui, je vous aime. Oui, je pleurs. Je pleurs le voyage, les amis, les rêves, les sourires laissez au pays qui n’est pas le mien.
Non, ils ne se rendent pas compte que le seul courage dont j’ai besoin se cache dans un vol retour. Un vol de départ.
Ce courage, j’en ai besoin pour ne pas inonder le siège 34E de ma tristesse vagabonde. Pourtant, à l’heure du retour personne ne me dit que du courage j’en ai. En ai-je vraiment ?
Pourtant, à l’heure de l’arrivée, j’ai le sentiment que ce courage je ne l’ai jamais eu. J’ai pleuré sur le siège 34E.
Le courage de la sédentarité
Nul besoin de courage pour aller au bout de ses rêves car ce sont eux qui me font vivre, vibrer, aimer, pleurer. Ce sont mes rêves qui me font voyager et qui me permettent de dire que je suis heureuse, ici et là-bas, ailleurs.
Dans mes yeux de voyageuse c’est en toi que je vois du courage. le courage de ne pas partir, de renoncer à tes rêves, de rêver de sédentarité lorsque le monde est à portée de mains.
Lorsque tu as signé ton CDI, que tu as dit « oui pour la vie » et que tu as autorisé les prélèvements automatiques tu n’as pas senti le courage que je vois en toi.
Lorsque je pars au bout du monde, dans le pays voisin ou que je rentre vers un chez moi qui n’est pas tien, je ne vois pas le courage que tu sens en moi.
Le courage du départ
Un nouveau départ se rapproche. L’excitation du voyage, la joie de vider son compte en banque pour acheter des billets d’avion, les sourires rêveurs de nouvelles rencontres, d’une nouvelle maison, d’une nouvelle vie m’envahissent.
Oui, je pars pour toucher un salaire de misère. Je pars dans un pays qui ne m’avait jamais attiré plus que ça. Je pars dans une région du monde où l’eau n’est pas forcément potable mais très appréciée des moustiques plus ou moins malades. Je pars dans un pays où je ne parle pas la langue populaire. Pourtant, je ne sens aucun courage en moi. Je ne sens aucun besoin de courage. Peut-être en aurais-je besoin à mon retour ?
Non, partir ne m’a jamais fait peur alors, comment et pourquoi devrais-je avoir du courage pour affronter une joie, un plaisir, une passion ? Après tout, le gourmand aurait-il besoin de courage pour entrer dans une pâtisserie et s’acheter une religieuse ? Le musicien aurait-il besoin de courage pour prendre sa guitare et jouer quelques accords ? Le professeur de littérature aurait-il besoin de courage pour relire un poème de Verlaine ?
Le courage de la raison
Du courage, j’en aurai jour. Peut-être. Enfin, je n’espère pas.
Du courage, j’en aurai le jour où je déciderai de « rentrer » définitivement, de poser mes bagages sur le sol français, de clouer mes valises au fond du placard, de classer mes Routards par ordre géographique et de ne les ressortir que 4 semaines par an. Du courage, j’en aurai le jour où la santé et l’éducation gratuites seront plus excitantes que l’idée de passer 24 heures dans un bus à admirer un paysage inconnu. Du courage, j’en aurai le jour où, comme mes voisins, je déciderai de réserver mes rêves au monde de la nuit, à mes paupières endormies, à mes muscles fatigués par ces temples, ces montagnes et ces ruelles sombres qu’ils ne parcourront peut-être jamais.
Ce courage ne viendra pas seul. Désarroi, routine, ennui, vague à l’âme seront ses compagnons de vie. Le courage d’abandonner mes rêves pour rentrer dans un moule trop étroit pour moi ternira mon cœur d’un gris sans joie et sans vie, inondera mon esprit de tristesse et de désolation, emplira mon âme d’une perpétuelle question : « Après tout, à quoi bon tant de courage ? »
Ton courage. Mon courage
Toi qui vois dans mes aventures, mes départs et mes mots du courage je te remercie. Merci de voir en moi quelque chose qui est simplement naturel. Merci de sourire à ma folie, mes rêves et mon besoin constant de voyager.
Peut-être qu’on ne te l’a jamais dit, mais pour moi c’est le courageux. Toi qui as transformé tes rêves au profit d’une vie confortable. Toi qui a su réaliser ses rêves de sédentarités à l’heure où Instagram nous fait croire que le bonheur est ailleurs. Toi qui a trouvé un équilibre entre voyages et sédentarité. Toi qui qui as signé un CDI et fait un prêt à la banque. Toi, à qui je dis merci, je te félicite pour ce courage invisible !
très bel article!! Comme les autres mais 5 semaines après mon retour en France il me parle…Merci!
c’est une vision intéressante du voyage (aller et retour) même si je tique un peu de ne pas pouvoir encore me faire cette réflexion, mes pieds n »ont connu que l’Europe, mais il me reste du temps 🙂
et un peu de courage apparemment
Très joli article, j’aime beaucoup ta façon d’écrire.
Merci beaucoup Ophélie 🙂
Bonjour,
Je découvre ton blog via un commentaire que tu as laissé sur « histoires de tongs », et cet article est le premier que je lis. J’aime beaucoup ta réflexion, qui six mois après mon retour d’un deuxième grand voyage me parle tout particulièrement. Pour mon premier retour, j’étais restée en France ; là je suis partie vivre pas très loin de toi visiblement, dans l’océan indien, et pourtant la routine « trajet boulot dodo » me rattrape déjà… et l’idée de reprendre la route me chatouille… mais je n’ai pas encore trouvé le moyen de tout concilier (à part commencer à me dire que je ne pourrai pas tout concilier !)
Merci en tout cas pour ce partage de ton ressenti 🙂