« Le voyage, comme l’amour, représente une tentative pour transformer un rêve en réalité »
(Alain de Botton)
S’expatrier ici ou là
S’expatrier, décider de prendre le large, aller voir si l’herbe est vraiment plus verte là-bas, aller voir là-bas si on y est, laisser notre vie présente dans une bulle de parenthèses pour tout (re)commencer là-bas et comprendre d’où on vient tout en allant là-bas.
S’expatrier, partir en Belgique en voiture ou voler jusqu’à Madagascar, frôler les vagues des Caraïbes ou prendre le Transsibérien pour arriver à Pékin, n’avoir pour chez soi que cette lune fidèle à tous nos déplacements, qui nous suit, ici et là.
S’expatrier.
Six mois.
Un an.
Une vie.
Peu importe la durée du voyage, peu importe le « là-bas », peu importe les raisons qui nous poussent à nous asseoir au siège 34A du vol AF8012 car une fois là-bas, on retrouvera toujours les mêmes expatriés. Une fois là-bas, on devient l’un de ces « expats« .
L’expat qui voulait changer le monde
Là-bas attirera toujours cet « expat », 30 ans, jeune et dynamique qui vient de signer dans une multinationale d’import-export. Les réseaux sociaux lui permettront de faire baver ses amis grâce aux photos de sa nouvelle planche de surf, des fontaines de rhum et de ces jolies brunes aux cheveux longs. Ses amis, quant à eux, s’armeront d’un sourire narquois pour lui rappeler qu’avant de goûter à la classe affaire d’Air France, il rêvait de sauver le monde.
Ce jeune expat sera venu avec un rêve d’aventure et sera resté pour échapper à la grisaille parisienne. La succession de zéros sur sa fiche de paie aura su le convaincre que la misère est moins pénible au soleil.
Cet expat aura rencontré des locaux, mais passera le plus clair de ses soirées à boire du vin français, à manger du fromage français, écouter de la musique française chez ce couple de Français, expatriés eux aussi.
Les expats amoureux
Les deux ingénieurs ou diplomates se seront rencontrés en Asie ou en Afrique après avoir quitté les bancs de l’ENA ou des Mines. Ils auront des enfants ou projetteront d’en avoir une fois leur carrière internationale bien lancée, une fois la réputation du lycée français bien bâtie. Ils aimeront chacune des villes où ils auront posé leurs valises. Ils aimeront chacune de leurs grandes maisons blanches, piscine à l’ombre d’un cocotier, loyer exorbitant, mais domestiques inclus.
Bien sûr que la pauvreté qui les entoure leur fendra le cœur, bien entendu qu’ils auront conscience des conditions de vie indécentes de ceux qui dorment sous le seuil pauvreté. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils offriront à leur femme de ménage un salaire digne. Pas comme ces nouveaux riches locaux qui exploitent la misère humaine, voyons ! Le couple d’expats, grand prince, offrira à sa cuisinière le double du seuil d’extrême pauvreté ! Grâce à ce couple d’expats cette femme pourra gagner 2 € par jour à mélanger des saveurs auxquelles elle n’aura jamais accès. Grâce à ce couple d’expats, cette femme pourra élever ses enfants beaucoup plus dignement que celle qui ne gagnait que 7 € par semaine !
Le couple vivra une lune de miel permanente, entre sa piscine et sa salle de projection diffusant en boucle les émissions de Canal+. Une lune de miel visible et enviée par tous ceux rester dans des bureaux parisiens grâce à Facebook, Twitter & Co.
Après 8 années passées dans le pays, à côtoyer au quotidien des locaux, ils ne parleront toujours pas la langue. Bien entendu, il ne s’agit là que d’une question d’économie : économiser du temps en faisant appel à un interprète 24/24, améliorer l’économie locale en permettant à un traducteur de travailler dans une grosse boîte, économiser l’effort de s’intégrer dans un pays pauvre.
Les expats-touristes sexuels
Là-bas, de l’autre côté de la ville, on trouvera ces retraités, obèses et pas forcément gâtés par la nature, divorcés, veufs ou célibataires endurcis. Ils se pavaneront sur leurs scooters chinois, enlacés par de jolies filles de 16, 18 ou 20 ans.
Lorsqu’ils croiseront d’autres « Blancs », armés d’un sourire compatriote, ils leur lanceront un « Bonjour » complice. Mais, se rendront-ils compte du dégoût provoqué chez le jeune expat qui se dirige calmement chez son couple d’amis ? Se rendront-ils comptent que si de jeunes vierges acceptent de se ridiculiser à leurs bras, c’est seulement dans l’espoir d’une vie matériellement meilleure ? Se rendront-ils compte qu’ils prostituent ces jeunes filles ? Se rendront-ils compte que les affiches de lutte contre le tourisme sexuel ont été faites pour eux, à cause d’eux ? Se rendront-ils compte enfin qu’ils salissent l’image de la France, de l’Europe ?
Oui, certains retraités, obèses et pas forcément gâtés par la nature, divorcés, veufs ou célibataires endurcis, auront trouvé, là-bas, leur âme sœur. Ou au moins se seront laissés emporter par l’amour. Oui, certains sexagénaires au teint « aspirine dissoute dans un verre de lait » seront sincères et heureux. Pourtant, lorsque des scooters bas de gamme, écrasés sous le poids de retraités, croiseront la route du jeune expat, celui-ci ne pourra s’empêcher de se demander pourquoi ces vieux hommes ont choisi de vivre des amours en pointillés, ponctuées d’allers-retours aériens et limitées par la durée d’un visa.
L’expat au contrat local
Là-bas, entre tous ces expatriés, on trouvera aussi cette jeune baroudeuse, qui jouera avec les autorités en détournant les règles du « visa run » ou en se mariant juste pour avoir une carte de résident. Elle aura signé un contrat local, recevra un salaire local mais essaiera de se fondre dans le monde des expatriés, sans trop y trouver sa place. Elle acceptera les invitations à la résidence de l’Ambassade de France pour rentrer en Europe, le temps de quelques bulles de champagne. Elle essaiera de comprendre le jeune dynamique, le couple carriériste, le retraité en manque d’amour. Elle se demandera si elle aussi fait partie de ces expatriés, si l’on peut être une expatriée itinérante, une expatriée du monde, au monde, dans le monde. Elle profitera de chaque minute passée à regarder l’Océan Indien, à caresser les cocotiers, à se rappeler que le voyage n’est pas fini, que ses valises n’ont pas encore pris racine, qu’elle n’est pas encore arrivée au bout du chemin et qu’un jour, elle s’expatriera … là-bas.
Très bel article, je pense que nous avons tous vu ces vieux blancs, on les a tous critiqué … Moi ce que je me demande c’est lequel de ces jeunes blancs que j’ai connu en voyage deviendra un de ces vieux blancs … dégelasses …
Mince alors, je n’avais jamais pensé que ce jeune surfeur, cet infirmier qui enchaine les missions MSF, ce diplomate récemment diplômé pourraient un jour devenir, eux aussi, l’un de ces retraités, obèses et pas forcément gâtés par la nature, divorcés, veufs ou célibataires endurcis …
Je n’avais pas non plus osé imaginé qu’un jour, ces retraités, obèses et pas forcément gâtés par la nature, divorcés, veufs ou célibataires endurcis, avaient pu être un jeune surfeur, un infirmier qui enchaine les missions MSF, un diplomate récemment diplômé …
Merci Moran pour ton commentaire !
Il y en a deux sortes, de vazahas dégueulasses, je trouve.
Ceux qui se trouvent une copine de trente ans de moins qu’eux, et c’est très crade, mais qui vont au bout de leur démarche en jouant vraiment les « amoureux ». Ceux là qui se marient, s’installent, font des enfants avec l’élue de leur coeur. Même si au fond de moi je me suis toujours demandé si ils croyaient vraiment être aimés de leur partenaire, ils ont le mérite d’être là, d’assurer le service.
Mais ceux qui touchent le fond du fond sont ceux qui à soixante ans continuent chaque soir d’écumer les bars à la recherche d’une gazelle nocturne, chaque soir différente, chaque soir un peu la même…
J’ajouterais une troisième catégorie de « vazaha » : ceux qui atterrissent ici et là pour fuir la solitude. Malgré leur mariage, leurs enfants, leur club de belote en France certains se sentent seuls. Passés quelques mois par an dans ces pays où « l’amour » est facile leur permet de se sentir accompagné, aimé, utile … même si souvent il ne s’agit que d’un leurre.
Un jour, à Sambava (Madagascar) j’ai rencontré un ancien marin. 72 ans, trois ou quatre aller-retours par an sur la Grande Île, se sentait différent de ces vieux retraités qui profitaient de la pauvreté des jeunes Malgaches pour recevoir de l’amour.
Un jour, entre deux étales de bassines made in China, il m’a expliqué qu’il considérait son amie Malgache comme un petit oiseau à protéger. Elle avait eu un enfant d’un autre ?! Qu’importe, il lui rapporterait de France des vêtements pour bébé. Elle voulait continuer ses études ?! Tant mieux, il lui paierait sa scolarité jusqu’au bac. Elle vivait dans une case ?! Il lui enverrait tous les mois l’argent nécessaire pour se louer une maison en dur…
Il savait qu’elle n’éprouvait pas d’amour pour lui, que leur différence d’âge était trop importante, qu’elle était jeune et séduisante alors que lui était bedonnant et ridé, mais il espérait recevoir d’elle au moins quelques sourires (câlins ?) de gratitude, de reconnaissance pour tout ce qu’il avait fait, faisait et ferrait pour elle …
Un jour, ce marin, a découvert que son « amie » lui avait menti, qu’elle avait d’autres « vazahas » qui l’entretenaient lorsqu’il rentrait en France. Ce jour-là sa solitude l’a rattrapé, ici, au sud de l’Afrique, dans cette petite ville isolée, loin de son mariage, de ses enfants, de son club de belote …
C’est une triste réalité aussi…
Plus trash, on entend aussi parfois parler de ces vieux vazahas qui se marient avec une jeunette, achètent une maison à son nom, et paf, le monsieur meurt dans des circonstances bizarres. Bon, c’est pas la majorité, mais il y en a…
Le phénomène existe depuis bien longtemps et dans tous les pays.
Quel est pour vous le portrait idéal de l’expat ?
Je ne pense pas qu’il y ait d’ « expat idéal » tout comme il n’y a pas non plus de voyageur idéal. Néanmoins je pense qu’une qualité indispensable à tout expat, à tout voyageur, à tout être humain c’est le respect. Respect de soi, de l’autre, de la culture qui nous accueille et du monde qui nous entoure et dans lequel on vit.
Il y aussi les vazaha qui ont rencontré leurs femmes en France et qui ont fait le choix de revenir à Madagascar pour aider leur femme à faire quelque chose pour leurs pays … C’est mon cas. Il n’y en a peut être pas beaucoup, mais il ne faut pas les oublier. Certains viennent à Madagascar sans le package expat pour monter une société et se retrousser les manches ! Effectivement on ne trouve pas vraiment notre place dans la communauté expatriée car contrairement aux autres, nous on reste … On ne trouve pas vraiment non plus notre place dans la communauté malagasy car mon mari est vazaha … Au début j’ai beaucoup souffert du regard des autres. Aujourd’hui, on essaie d’avancer, c’est dur d’être entrepreneur à Madagascar, surtout quand on est un couple mixte ! en tout cas, merci pour tes articles très juste sur Madagascar ! Bonne continuation
Je suis tout à fait d’accord! Tous les expats ne sont pas à mettre dans le même sac: l’amour n’a pas de frontière et lors de mon séjour à Mada j’ai certainement croisé tout un tas de couples mixtes, amoureux et heureux.
J’ai écris ce texte quelques semaines à peine après mon arrivée à Sambava, sous le coup de la surprise. En effet, le tourisme sexuel agrémenté d’un drôle de mélange entre paternalisme et colonialisme a été un véritable choc culturel (et ce alors que je voyage depuis plus de 10 ans).
Bonne chance dans vos projets malgaches. J’espère que vous réussirez à faire quelque chose pour le pays comme vous dîtes.
Merci pour le commentaire 🙂