Avorter en Amérique Latine : 3 voyageuses témoignent

Une capote qui craque, un mauvais calcul de dates ou un coup d’un soir avec l’alcool en guise de réflexion, un viol, un inceste, une erreur, un coup de malchance … toutes les femmes qui sont tombées enceintes sans le vouloir ont leur raison, leur excuse.
En couple, en relation libre, célibataire, trop jeune, trop vieille ou tout simplement parce qu’elle n’en avait pas envie, pas maintenant, pas avec lui, pas comme ça … en France, en Belgique et ailleurs, en Europe, en Amérique du Nord, en Océanie et ailleurs dans le monde, une femme qui tombe enceinte sans le vouloir peut prendre la pilule du lendemain, parfois.

Dans nos pays de « gringos », une femme a souvent la possibilité de disposer de son corps comme elle le souhaite, décider du lieu, du moment, de la personne avec qui elle souhaite fonder une famille ou simplement partager quelques cellules pour donner la vie.

Comme je vous l’expliquais dans mon guide pratique sur l’avortement en Amérique Latine, ce n’est pas le cas partout, loin de là. Sur ce continent que je foule au rythme de mes pieds et que j’aime à la vitesse de mes rencontres, une femme ne peut disposer de son corps comme elle l’entend. Si dans certains pays l’avortement est autorisé avec plus ou moins de contraintes, dans d’autres, même une fausse couche peut être la porte d’entrée d’une prison, la porte de sortie d’une vie libre.

Trois voyageuses ont accepté de témoigner. Afin de préserver leur anonymat, les prénoms ont été modifié.
Si toi aussi tu as avorté en Amérique Latine et que tu souhaites partager ton expérience, tu peux m’envoyer un e-mail anonyme à celine@voyagesduneplume.com

Voici leurs histoires:

  • Adeline, a jonglé avec la légalité pour avorter en Colombie
  • Clara, a traversé la frontière pour avorter en Argentine après avoir pris une pilule du lendemain qui n’a pas fonctionné
  • Sarah, en VIE au Chili, a vécu un enfer
Que personne n’ait à choisir entre mourir ou finir en prison

Adeline, 26 ans, en couple, a pu jongler avec la légalité pour avorter en Colombie

Pour ma part, même si je suis en couple et ai 26 ans, il était clairement hors de question de le garder. J’en ai parlé à mon compagnon français avec qui je voyage en Amérique du Sud et nous étions tous les deux d’accord : ce n’est pas le moment !
Je me suis renseignée sur l’avortement dans le coin et ai même émis l’hypothèse de rentrer en France si besoin. Mais bon, pour cela, il faut gros budget.

Ma prochaine destination étant la Colombie, je me suis dit que je trouverai peut-être plus facilement à Bogotá, la capitale. Je me suis renseignée sur le net et les résultats n’étaient pas encourageants : l’avortement y est illégal, comme dans beaucoup de pays, à l’exception de 3 raisons (viol, malformation ou problème de santé). Et puis, je suis tombée sur le témoignage d’une Française qui a avorté clandestinement en Colombie (voir le témoignage de Diane sur le site de Madmoizelle). Son histoire est tout simplement horrible, mais j’ai quand même continué à chercher (et heureusement !).
J’ai finalement trouvé une association (Oriéntame, site en espagnol), qui permet d’avorter de façon légale, en s’appuyant sur les textes de lois. L’association part du principe que si tu juges que l’enfant peut compromettre la vie et la santé psychique ou physique de la femme enceinte, cela rentre dans le cadre de la loi.

J’ai pris rendez-vous la veille pour le lendemain, j’ai d’abord rencontré une personne qui a pris les infos et s’est assurée que j’étais sûre de vouloir avorter.
Les dames ont toutes été bienveillantes et très gentilles, et très à l’écoute surtout.
Ensuite un médecin est venu et ils m’ont redonné rendez-vous l’après midi pour que je prenne les médicaments !

Voilà en une journée c’était fait !  Ils proposent dans le prix d’inclure la pose d’un stérilet en cuivre.
J’ai donc avorté là-bas, en une journée, pour la somme de 375 euros !
Par contre, j’avoue que je n’ai rien osé dire à ma famille, je n’avais pas envie de les inquiéter ! Peut-être une fois que je serai rentrée…


Il y a 100 ans on utilisait des cintres pour pratiquer des avortements clandestins. Aujourd’hui aussi.

Clara, la vingtaine, a pris une pilule du lendemain qui n’a pas fonctionné

Quand j’ai découvert que j’étais enceinte, j’étais dans un village très reculé au sud du Chili.
Quelques semaines avant mon arrivée, j’avais pris la pilule du lendemain. Je pensais être tranquille puis j’ai commencé à voir quelques symptômes de grossesse.
Il y avait une sorte de petite clinique où j’ai fait un test de grossesse. Les deux dames m’ont félicitée, puis elles ont vu ma tête. Elles ont tout de suite compris et m’ont dit « au Chili, il n’y a pas d’options, alors ce serait peut-être mieux de rentrer chez vous ou alors, on sait tous qu’en Argentine il y a des moyens ».

J’ai de suite contacté une de mes amies de voyage qui a toute sa famille en Argentine. Elle m’a tout de suite rassurée : « ne t’inquiète pas, ce n’est pas officiellement légal, mais il y a des moyens, tout le monde le fait. On va trouver une solution ».
J’ai ensuite prévenu mon copain chilien. Nous étions vaguement en couple (un début d’histoire quoi), et il a été super présent. Les deux m’ont rejoint très rapidement.
Entre temps, je m’étais énormément renseignée sur la réglementation au Chili et en Argentine. Le Chili paraissait beaucoup trop dangereux d’un point de vue légal, car jusqu’en 2016, l’avortement était illégal pour toutes les raisons possibles, y compris en cas de viol.

De leur côté, avant de me rejoindre, mon copain et mon amie ont contacté tous leurs amis de confiance par ci par là, en Argentine et au Chili. Il s’est avéré que pas mal de monde avait déjà eu recours à l’avortement.
On a rapidement eu le contact d’un gars en Argentine, qui ne faisait que ça. Une sorte d’association pas vraiment officielle qui aide toutes les femmes dans le besoin. J’ai beaucoup discuté avec lui et ça m’a semblé être la solution la plus sûre.
J’ai vite découvert qu’il était en fait gynécologue, qu’il avait un cabinet pignon sur rue. Ça m’a tout de suite rassurée ! Comme j’étais en voyage et que j’allais être toute seule dans une ville inconnue, il m’a trouvé un hébergement où je puisse être au calme, me reposer, etc.
J’ai évidement pensé à rentrer en France, mais c’était très compliqué : budget, quelle explication donner à mes proches, peur de dépasser le délai légal, etc.

Je me suis donc rendue au premier rendez-vous. J’ai été assez impressionnée, ils font un travail remarquable : tout un cabinet avec des gynécos et tout, super clean. J’ai beaucoup parlé avec le médecin, il m’a dit que l’argent n’était pas un problème, ils aidaient tout le monde. Ceux qui peuvent payer payent, ce qui ne peuvent pas ne payent pas. Moi, j’ai décidé de payer le prix « recommandé » (5 000 pesos, environ 300 € à ce moment-là), parce que j’avais des sous, et que je suis admirative de ce que font ces gens. Et puis, le médecin m’a dit que ce prix leur permettait d’offrir l’avortement à une autre personne.

Au final, c’était plutôt « légal » car quand tu regardes la loi en Argentine, « l’avortement est légal en cas de danger pour la santé de la mère » et il y a un paragraphe qui définit la santé comme étant mentale ou physique. Il m’a donc fait remplir un papier pour expliquer pourquoi ce serait compliqué d’avoir un enfant : pas de maison, pas d’argent etc.
Deux options s’offraient à moi : l’aspiration ou les pilules abortives.
Pour ne pas avoir à le faire seule, je choisis l’aspiration : 10 minutes en salle puis 1h dans la clinique pour vérifier que tout allait bien.
Une semaine plus tard, j’ai eu une échographie de contrôle et tout allait bien.

Un avortement en plein voyage, à des milliers de kilomètres de chez soi et dans un pays où les droits des femmes sont une lute permanente, est une expérience que je ne souhaite à personne.

Chéri, la seule chose contradictoire ici c’est que tu aies fini l’éducation primaire et que tu ne saches pas faire la différence entre « légal » et « obligatoire ». Illustration Mora

Sarah, 24 ans, en VIE dans le nord du Chili a vécu un véritable enfer

Je suis arrivée au Chili pour un VIE [Volontariat International en Entreprise] d’un an, puis, comme beaucoup de Françaises, j’ai succombé au charme du pays (et d’un Chilien !) J’ai donc prolongé mon VIE pour une deuxième année.

Un week-end en amoureux, plus de préservatifs et une folle envie de faire l’amour, alors, avec mon copain, nous pratiquons la méthode du retrait.

Les jours passent, mon amour pour le Chili et mon copain augmente de jour en jour. Tout va bien. Je me sens plus fatiguée que la normale, je suis de plus en plus susceptible, mais je mets ça sur le compte de l’été. Malgré les heures passées à la plage, la chaleur est assez dure à supporter à Antofagasta.
Ayant à peine quelques jours de retard, mon copain insiste pour que je fasse un test de grossesse. Le verdict tombe : je suis enceinte.
Nous commençons tout de suite à nous renseigner sur la pilule abortive et sur les associations aidant les femmes à avorter, en vain. Rentrer en France ? Impossible : pas de vacances, pas d’argent. Et puis, qu’est-ce que j’aurais dit à mes parents ?
Un soir, alors que ses parents m’avaient invité à manger, mon « beau-père » sort un ticket de caisse de sa poche, me regarde droit dans les yeux et me demande : « vous allez faire quoi ? » Silence gênant. « J’ai trouvé ce ticket de caisse d’un test de grossesse. Vous allez le garder ? »

Les larmes coulent, je suis désemparée. Ma « belle-mère » me dit de revenir le lendemain. Nous irons ensemble voir une de ses amies sages-femmes et « tout ira bien ». Non, rien n’a été.

Le lendemain, la sage-femme en charge des échographies n’est pas là. Elle vient de partir en vacances. C’est donc sa collègue, la seule autre sage-femme qui pratique l’avortement illégalement, qui confirmera la grossesse et le nombre de semaines en enfonçant ses doigts dans mon vagin. « Six semaines. Je finis à 16 h demain. Viens me chercher et je te le fais pour 200 000 pesos (soit environ 280 €) »

Le lendemain, il fait une chaleur insupportable. Mon copain m’accompagne en voiture. La sage-femme monte, indique le chemin. Nous arrivons en face de chez elle et interdit mon copain de venir avec moi.
Je pensais qu’elle m’amenait chez elle, mais la maison appartient à ses parents. Je m’assois, bois un verre de jus offert par sa maman qui a au moins 80 ans et regarde un match de foot avec le papa à moitié sourd. Quelques minutes plus tard, la sage-femme sans nom revient et m’accompagne dans une chambre-débarras-buanderie : une vielle chaise de gynéco, des poupées poussiéreuses, une pile de linge à repasser sur un lit tordu.
Le cauchemar commence : sans anesthésie, elle enfonce ses instruments en moi. Je les sens frotter mon utérus. Je me sens saigner. Je pleure, j’ai le souffle court. « Chut, tu n’es plus une gamine, mes parents pourraient t’entendre ! »
Qu’est-ce que je m’en fous de ses parents ! Je veux qu’elle arrête, qu’elle fasse une pause. Je veux sentir la main de maman. Je veux voir mon copain.
Je me sens de plus en plus mal, tout tourne autour de moi. Je le lui dis. Rien à faire, elle continue à frotter. Je continue à saigner.
Au bout de ce qu’il m’a semblé être 3h de souffrance, elle m’aide à me relever. Elle me couche sur le lit. J’ai froid. J’ai soif. Pas le temps de reprendre mes forces. « sèche tes larmes et fais comme si tout allait bien : mes parents ne doivent rien savoir ».

Dehors mon copain m’attend dans sa voiture. Avant même qu’il ne démarre, je fonds en larmes.
Aujourd’hui, je garde des séquelles psychologiques de cet avortement. À chaque pénétration, je ressens le métal frotter mon utérus. Je vais avoir besoin de nombreuses sessions chez mon psy pour ne plus assimiler ce cauchemar à un viol, pour ne pas assimiler les pénétrations de mon copain à un viol.
Évidemment ma relation amoureuse souffre de ce souvenir.

Dans trois mois je rentre en France. Je ne sais pas si mon copain m’accompagnera. Je ne sais pas si je réussirais un jour à refaire l’amour normalement.

Si tu es en Amérique Latine et que tu as un doute, besoin de parler ou d’être accompagnée, jette un œil à cet article, j’y partage des liens d’associations féministes : Avortement en Amérique Latine: législation par pays

Si tu as envie de partager ton témoignage, envoie-moi un message à celine@voyagesduneplume.com

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8 réflexions sur “Avorter en Amérique Latine : 3 voyageuses témoignent”

    1. Merci pour ce commentaire. J’espère continuer à écrire sur ces sujets qui me touchent et qui font partie de mes voyages.
      J’espère d’ailleurs rencontrer des associations pour comprendre au mieux la situation et enrichir mes voyages.

  1. Merci pour cet article très intéressant et d’une importance capitale. Me trouvant actuellement en Colombie, avec une amie locale dans ce cas je suis tellement en colère contre ces lois réprimant le droit de disposer de son corps. Une pillule à prendre faite pr une autre maladie, risques d’hémorragie et j’en passe. Je suis tellement désolée pour le témoignage particulièrement marquant de cette dernière jeune fille… Les esprits doivent évoluer.

    1. Merci pour ton commentaire Justine.

      J’espère que les choses évolueront assez rapidement dans les pays où les femmes ne peuvent toujours pas disposer librement de leur corps pour ne plus avoir à lire ce genre de témoignages si difficiles.

  2. Merci pour cet article et le précèdent sur le détail des lois des pays d’Amerique du Sud et Centrale. Fiouuu, pas facile de lire ce troisième témoignage, cela m’a attristé.
    Comme cela peut etre dur d’etre une femme.. parfois.

    1. Effectivement le troisième témoignage est particulièrement poignant.
      Tous les jours des centaines de personnes lisent l’article sur les lois des pays concernant l’avortement. J’imagine donc que chaque jours des femmes francophones en Amérique Latine ont besoin d’aide, de conseils et risquent potentiellement de vivre le même cauchemar que Sarah… J’espère que grâce aux liens vers les associations elles trouveront de ‘laide et du réconfort.

  3. Merci pour ton travail de partage!
    Le chemin est encore long, mais j’ose espérer que les mentalités évoluent dans le bon sens – et que les Hommes, avec un grand H, comprennent le sens des mots « mon corps, mon choix ».

    1. Merci beaucoup Margaux !
      Comme tu le dis le chemin est encore long. J’ai espoir quand je vois qu’au Chili, pays que je connais le mieux, les manifestations en faveur de l’avortement rassemblent de plus en plus de monde. J’ai aussi espoir quand je discute de ce sujet à de jeunes hommes qui; petit à petit, comprennent que ni l’Etat ni la religion ni personne n’a le droit de décider à la place d’une femme ce qu’elle peut, ou non, faire de son corps.

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