Ici je suis venue. D’ici je suis repartie.
Par ici j’ai vécu et ici je reviens.
Par curiosité, amour, amitié ou rêve, j’ai traversé encore et encore l’Océan pour me perdre ici…
De l’incompréhension
Ici les chiens jouent avec les roues des voitures en marche, jouent avec le vagabondage de leur vie. Ils forment des meutes pour accompagner le voyageur solitaire jusqu’à son hostal sordide. Ils sont sales, seuls, abandonnés, courant après les rayons de lune qui survolent le Pacifique.
Ici on vit dans un mauvais plagiat de 1984. Dans le métro, la rue, les cars ou les centres commerciaux, la voix et ses mots nous pourchassent rabâchant inlassablement les règles du « soyons éduqués, civiques, heureux, et lobotomisés » : passager, dénonce le chauffeur qui dépasse de 5 Km/h la vitesse autorisée ! Usager, ne t’assied pas au sol ! Jeune maman évite d’allaiter en public ! Toi, reste calme ! Toi, dénonce-toi si tu as oublié une pomme dans ton sac à dos ! Et toi qui écris cet article, n’oublie pas que de faire du Chili un pays de bisounours aseptisé est le devoir de tous.
Ici les enfants courent de bras en bras.
Une dame, une ado et un bébé prennent place à côté de moi. Combien de générations partagent mon banc ?
Une grand-mère de 37 ans, une maman de 16 et un bébé de quelques mois prennent place sur mon banc. Trois générations prennent place à côté de moi.
Ici on valorise la maternité, diabolise l’avortement et laisse à l’abandon l’éducation sexuelle.
Mère, ado, grand-mère, enfant, fille-mère ne font qu’une. Heureuses ? Comment le savoir lorsqu’ici un nouvel être est un cadeau de Dieu, lorsqu’ici le gouvernement noie ce présent divin par des cadeaux en tous genres pour faire oublier qu’un bout de latex aurait pu sauver une vie.
Et beaucoup d’amour
Ici je prends mon temps.
Ici le temps m’emporte dans ses détours.
Entre cascades, lacs, mers et montagnes, le temps coule doucement sans me laisser le temps de le voir filer
Avec l’arrivée du soleil je lève mon pouce vers de nouveaux horizons. Sachant que seul un cœur brisé m’attend à Santiago, je décide de fuir le « smog » infernal pour découvrir le Cajon del Maipo.
A quelques kilomètres de la capitale, la cordillère s’élève, entre monts et torrents. Sans guide ni carte, je chausse mes plus beaux bâtons de marche à la recherche d’un sentier oublié.
« – Moi je m’arrête ici mais demandez aux poids lourds, eux vous conduiront jusqu’au bout de la route.
– Bien Monsieur l’agent. Merci. »
Assise dans ce camion je zigzague vers Baños Morales. Entre deux virages j’essaie de tenir la conversation mais comment transformer des onomatopées en mots lorsque toute son âme est absorbée par la beauté des paysages ?
On s’arrête. Au loin arrivent d’autres camions. L’étroitesse de la route me rappelle à la réalité : ici, tous les jours défilent des dizaines, des centaines de poids lourds. Par cette danse quotidienne ils assèchent le cœur chaux de la montagne.
Les roues redémarrent et sur ma droite, une banderole laissée ici par des amateurs de hauteur. Il y a plusieurs mois, les escaladeurs ont apposé ici leur rejet au projet hydraulique de l’Alto Maipo.
Entre rêve et tragédie écologique, l’asphalte s’achève ici.
Je descends du camion en le remerciant pour le sourire, maudissant l’entreprise minière, haïssant l’absurdité de notre système qui a soif de chaux.
Ici je continue ma route, à pied, sur le sentier de El Morado.
Ici le printemps arrive lentement, laissant traîner derrière lui quelques vestiges neigeux.
Les chutes de neige et la boue m’interdiront l’accès au glacier. Tant pis.
Le regard droit devant, les nuages attirent vers eux mon sourire éternel. Une pause, un œil en arrière et le ronron de la mine me rappelle pourquoi, depuis plus de trois ans je ne cesse de vivre une histoire d’amour pleine de reproches avec cet ici chéri, le Chili…
Cajon del Maipo, infos pratiques :
- Dormir à San José del Maipo
- Hospedaje Tio Valentin: Calle Del Rio 19973 (c’est le moins cher si vous négociez les prix)
- Se déplacer
- Bus MB-72 depuis le métro Bellavista de la Florida (Santiago)
- Bus depuis San José del Maipo vers Baños Morales les lundi / vendredi / samedi à 6h00 (retour à 18h)