«Le voyageur est celui qui se donne le temps de la rencontre et de l’échange.»
(Frédéric Lecloux)
Du temps et de l’argent
C’est bien connu, pour voyager il faut soit du temps, soit de l’argent. Ou les deux, mais là nous entrons dans une dimension à laquelle je n’ai jamais songé.
Du temps j’en ai eu dès la naissance, comme tout le monde. Voyageuse depuis mes premiers mois, et curieuse dans les gènes, j’ai décidé de le consacrer à des études qui me feraient voyager et à des voyages qui me permettraient d’apprendre, découvrir, connaître, comprendre.
Mon temps, je le laisse filer lentement, au son des pluies et au rythme d’un pouce levé vers des sourires inconnus.
De l’argent, j’en ai eu, je crois. Des fois. Pas souvent. Disons que je n’ai jamais voulu en faire une priorité alors, lorsqu’étudiante je pouvais profiter de mes vacances pour apprendre le tchèque à Olomouc, Brno ou Podibrady plutôt que de travailler pour gagner des clopinettes, je filais vers la République Tchèque sans trop me poser de questions. Et puis, les week-ends je préférais me promener dans les allées du marché de Wazemmes et goûter aux milles saveurs sonores présentent dans ce quartier lillois plutôt que de m’ennuyer derrière un comptoir de fast-food.
Malgré un compte en banque à trois chiffres, j’ai toujours réussi à voyager alors pourquoi perdre mon temps pour une routine qui en me correspond pas ?
Liberté rêvée
Liberté.
Voilà en un mot mon rêve de vie, ma philosophie, mes envies. Qu’est-ce que je veux faire quand je serai grande ? Etre libre !
Dans quelques mois je serai grande, je crois. Selon la société et les petites rides qui se dessinent aux coins de mes yeux, à 30 ans on commence à être grande.
Est-ce que je suis libre ? Oui, je crois.
Libre de voyager, d’apprendre, de rencontrer, de sourire et de pleurer lorsque fatiguée la foudre décide de battre les prairies juste avant que ma tente ne soit montée.
Libre de choisir que faire de mon temps, de ne pas visiter la Place Saint Marc à Venise parce que je n’aime pas les foules, de passer une journée avec un bon bouquin parce que la rando pourra attendre demain.
Libre de me coucher à 21 h parce que le stop fatigue, de manger des biscuits secs avec de la confiture trois jours durant parce que les stations services argentines n’ont rien d’autre à me vendre, de descendre d’un camion au milieu de nulle part pour ne pas prendre de risque.
Libre de voyager et de faire de mon temps un bien précieux à offrir à qui veut me lire.
Nous sommes nombreux à rechercher cette liberté lors de nos voyages. Certains ont d’ailleurs décidé de faire du « sans argent » la clef de leur aventure. Et de leur liberté ?
Grâce à un compte en banque que je n’ose même plus consulter, je pourrais facilement m’inscrire sur la longue liste de voyageurs, bloggeurs, aventuriers ou touristes qui voyagent sans argent. Pourtant, je ne me suis jamais sentie fière de faire partie des voyageurs pauvres. Au contraire, je me sens redevable de cet amour, cette générosité, cette bienveillance que je reçois au quotidien.
Comment remercier ce petit monsieur qui m’a permis de camper sur son terrain ? ce jeune homme qui m’a proposé de dormir dans l’une des maisons qu’il surveillait ? Ce chauffeur routier qui m’a gavé de bananes et de noix lorsque j’avais faim ? Cette dame qui nous a payé nos légumes juste parce qu’elle aussi rêvait de voyager ? Ce chrétien qui nous a payé la moitié d’une nuit d’hôtel et offert une Bible sans jamais faire de prosélytisme ?
Comment remercier toutes ces personnes qui donnent de leur temps, de leur argent et de leurs sourires à des inconnus de passage ?
Et puis, comment réagir face aux enfants de rue pour qui n’ont pas le temps de jouer ni l’argent pour ne pas travailler ? Que dire à cette collègue qui doit trouver 500€ en trois jours pour opérer sa fille alors que le salaire minimum mensuel est de 232€ ?
Liberté perdue
Aujourd’hui, après plus d’un mois de volontariat en Bolivie ma liberté est attaquée en plein cœur.
Pour voyager sans argent, ou avec quelques cacahuètes en guise de budget, il n’y a pas de recette miracle : faire du stop, du camping sauvage, du couchsurfing, du volontariat et se serrer la ceinture jusqu’à trouver de la nourriture. Certains jouent de la musique dans la rue et d’autres récupèrent les invendus des supermarchés jetés dans les bennes à ordures. Chacun ses limites, chacun sa zone de confort.
Aujourd’hui, après plus d’un mois à travailler dans un café où un expresso coûte aussi cher qu’un repas sur le marché, je remets en question cette liberté que je cherche et chérie depuis tant d’années.
Moi, Céline, 30 ans et une cerveau rempli de principes et d’idéaux que je scande haut et fort.
Moi, la végétarienne qui hurle contre l’industrie agro-alimentaire, celle qui refuse de travailler pour McDonalds et n’achète jamais de Coca Cola, celle qui boycotte l’huile de palme et rêve de voir s’effondrer Monsanto.
Moi, la rêveuse, utopiste, idéaliste (ou simplement optimiste), comment je peux occuper mon temps à vendre du Coca Cola dans un café pour personnes aisés en Bolivie, le pays le plus pauvre d’Amérique du Sud ?
Ne vous méprenez pas, je ne crache pas dans la soupe car sans ce travail je n’aurais pas pu visiter la Bolivie mais qu’en est-il de ma liberté, de mes idéaux, de mes rêves ?
La question du volontariat avait déjà tourné entre quelques verres de bière et grands éclats de rires avec mes copains du Bon Air Argentin à Valparaíso, Chili. Pour faire fonctionner l’hostel, trois administratifs, une stagiaire et 4 volontaires. N’étions-nous pas en train de prendre le travail d’étudiants chiliens qui s’endettent de plusieurs dizaines de milliers d’euros pour avoir une licence ?
Où vont mes principes lorsque j’accepte d’être volontaire dans une entreprise qui embauche plus de voyageurs que de locaux ? Où est ma découverte de la culture lorsque j’entends une salariée dire qu’il vaut mieux être volontaire que de recevoir un salaire ? Où est ma liberté lorsque j’offre mon temps à des inégalités que je vomis au quotidien ?
Est-ce que pour être libre en voyage il faut se sacrifier ? Comment font tous ces voyageurs fauchés qui défilent sur les réseaux sociaux ?
Liberté sans argent
Liberté.
Pour certains la liberté se trouve dans ce manque d’argent. Pour moi, elle se love dans le temps que j’ai à offrir à ceux qui veulent parler, rêver, m’accompagner sur quelques kilomètres.
Ce voyage de la Terre de Feu jusqu’à l’Alaska en stop, sac à dos et en amoureux, je l’ai rêvé hors système. Troquer, échanger, marcher. Avec ma maison sur le dos et de quoi rentrer en France en cas de pépin de santé ou explosion de cœur, rien ne pouvais m’arrêter.
Je savais que j’allais devoir dépenser quelques billets pour un déodorant, de la nourriture, une douche ou un bon lit de temps en temps et l’idée ne me dérangeait pas.
Je ne rêvais pas d’un voyage sans argent mais plutôt d’un mode de vie nomade et minimaliste comme en parle très bien les Serial Hikers.
Aujourd’hui, je remets ce voyage en questions. Ni l’itinéraire ni le programmes non existants me posent problèmes, non. Je sens que ma liberté est en jeu, alors que faire ? Continuer le voyage avec les 350€ gagnés à deux en travaillant 54 h par semaine en Bolivie pendant 6 semaines ? Rentrer en France le temps d’une pause pour travailler et repartir dans quelques mois le compte en banque un chouia moins maigrelet et ainsi pouvoir mieux choisir les volontariats ? Arrêter de penser qu’offrir du temps est suffisant en échange de logement, nourriture ou autre ?
Pourtant, malgré ce texte et la gifle de vie que je viens de recevoir en pleine liberté, je n’envisage pas de changer ma façon de voyager : le stop, le camping sauvage, les rencontres, l’inconnu et l’imprévu sont plus qu’un mode de voyage, ils font partie de moi, ils sont moi.
Liberté.
Ma liberté, je l’ai mise de côté par besoin, parce que je suis arrivée en Bolivie sans un sou et sans l’envie de profiter de la générosité de ceux qui n’ont rien mais donnent quand même.
Mais, ma liberté je l’aime trop pour l’oublier au profit d’un voyage sans argent. Alors je continuerai à voyager de la même manière mais différemment. Je trouverai une solution pour offrir du temps et un repas à ceux qui en ont besoin. Je trouverai les moyens de donner car dans le fond, je crois qu’en voyage je préfère donner que recevoir. Je trouverai un équilibre entre le voyage économique et le partage de sourires. Je trouverai comment me sentir libre de disposer de mon temps et mon budget comme je l’entends.
Liberté de l’autre
Chacun est libre de choisir son mode de voyage, de tourisme ou d’aventure et jamais je ne me permettrais de juger ceux qui partent les poches au vent.
Grâce à ces volontariats en entreprise, j’ai réalisé que mes principes, mes idéaux et ma liberté étaient le moteur de mes ambitions nomades et que je ne veux plus les sacrifier au nom du voyage.
Mon seul conseil, chers lecteurs, lorsque vous lirez ces articles qui écrivent en gras que n’importe qui peut faire un tour du monde sans économies, buvez une gorgée de thé, caressez votre chat ou redressez vos lunettes et demandez-vous jusqu’où vous pourrez sacrifier votre liberté pour réaliser ce rêve.
Peut-être avez-vous déjà tenté l’aventure du voyage minimaliste / sans argent ? Vous en pensez quoi ?
Personnellement, je refuse de voyager en dépendant des autres. Squatter, quémander, taxer de la nourriture à des personnes qui ont bcp moins de ressources que l’immense majorité des Européens, impossible pour moi.
Evidemment, c’est facile pour une jeune fille d’une vingtaine d’années avec un peu sourire d’obtenir un trajet ou un repas gratuit.
Tant mieux pour toi si cela marche.
Je n’appelle pas cela la liberté, mais profiter des autres.
Bonjour,
Je pense que nous nous ne sommes pas très bien compris. Pour ma part je ne quémande rien à personne (j’ai même du mal à accepter ce que l’on me donne parfois).
Pour ce qui est du sourire, il est toujours plus facile de se faire prendre en stop lorsqu’on a l’air de bonne humeur. Enfin, je n’ai jamais essayé de faire du stop en tirant la tronche mais je ne suis vraiment pas sûre que ça marcher!
Effectivement, faire du stop c’est obtenir un trajet gratuit mais c’est aussi et surtout avoir la possibilité de rencontrer, échanger et partager avec des locaux, chose parfois difficile lorsque l’on ne sort jamais des sentiers battus et rebattus par les touristes.
Lorsque j’ai une voiture et que je prends des auto-stoppeurs je n’ai pas l’impression qu’ils profitent de moi car je le fais de bon coeur, par générosité, altruisme ou éducation peut-être.
Merci d’avoir posé des mots sur ce qui semble être un dilemme pour beaucoup. Merci pour cette réflexion et belle prise de recul. Je te souhaite de rester libre encore longtemps !
Merci beaucoup Léa pour ce commentaire.
Ce n’est pas toujours évident de prendre du recul sur ça manière de vivre, de rencontrer, de partager et je pense que le voyage peut servir à ça de temps en temps.
Lundi je reprends la route avec ma tente, ma soif de découvertes et mon amoureux. Je pense que cela nous aidera à y voir plus clair pour la suite de notre voyage.
Bonne continuation à toi aussi!
Merci d’avoir posé des mots sur ce qui semble être un dilemme pour beaucoup. Merci pour cette réflexion et belle prise de recul. Je te souhaite de rester libre encore longtemps !
Super ton article Céline, tu poses parfaitement le problème, et je te rejoins sur ta conclusion. Avoir des principes c’est bien, les mettre en perspective, dans un contexte, les questionner, c’est mieux.
Merci pour ce commentaire Samuel.
Je pense que la suite de notre voyage en Amérique Latine nous offrira de nouvelles pistes de réponses et surtout de nouvelles interrogations quant à notre voyage, au tourisme (de masse ou non) et de ces fameux sentiers non battus (je pense notamment à quelques villes où j’étais venue il y a 5 ans et qui ont été complétement transformées par le tourisme, oubliant parfois leur propre culture).
Ton article est intéressant car il me surprend. Il me semble que c’est possible de voyager en accord ses principes et a petit budget. Je crois que tu donnes la solution toi-même dans ton article : choisir scrupuleusement ses volontariats (pour des associations a but non lucratifs par exemple) et avoir des économies suffisantes pour ne pas être obligée d’accepter n’importe quoi. Je ne comprends pas pourquoi tu continues de travailler dans ce café si ça va a l’encontre de tes principes et que tu n’y gagnes rien… Tu es libre de travailler dans d’autres cafes en accord avec tes principes et dans des pays (voisins de la Bolivie) qui paient beaucoup mieux😉 Bon voyage!
Bonjour Flor,
Merci beaucoup pour ton commentaire.
Dans notre cas nous avons eu quelques soucis de budget (notamment après un passage express en Argentine qui nous a un peu ruiné). Nous pensions donc faire un volontariat en Bolivie et, en parallèle trouver un petit boulot.
Sur workaway l’annonce ne parlait ni de café, ni de travail extra mais d’une famille, d’entretien et d’animaux de compagnie. La réalité nous a donc un peu pris de court et nous étions tellement désespérés que nous avons accepté.
Nous avons travaillé 6 semaines car nous avions un petit salaire pour les heures extras, parce que l’Argentine voisine est bien trop chère et que nous ne pouvions pas retourner au Chili…
Malgré tout cette expérience nous aura permis de définir le genre de voyage que nous souhaitons réaliser et ainsi mieux nous préparer pour les prochains 😃
Ton article me surprend!! 😮
C’est vrai, parfois on oubli ça, la liberté!! Merci Céline
Effectivement, je ne comprends pas que des étrangers pouvant se permettre de payer un billet d avion pour l autre bout du monde se retrouve à piquer le travail que des locaux peuvent réaliser pour subvenir à leurs besoins de voyageurs en sachant que des milliers de personnes sont au chômage dans ces pays et cherche de quoi se nourrir et sans survivre au quotidien … c est terrible
Heureusement tous les volontariats ne sont pas des « vols d’emploi ». Des associations ou des familles font appel à des volontaires car ils n’ont pas les moyens de payer des salaires. Au Chili j’ai aussi fait face, plusieurs fois, au racisme de certains employeurs qui préféraient avoir des volontaires étrangers plutôt que d’employer des locaux (les raisons variaient : j’ai entendu que les Chiliens étaient fainéants, voleurs, pas fiables, bref, du racisme à l’état pur).
C’est vrai que j’ai aussi du mal à comprendre ces voyageurs qui vendent de la nourriture ou de l’artisanat dans la rue dans des pays comme la Bolivie où énormément de locaux (dont des enfants) le font au quotidien pour avoir un semblant de revenu… Dans ce cas, c’est aux autres voyageurs de bien choisir à qui ils décident d’acheter.
Ping : Traveling without money, good or bad idea? • SerialHikers - Alternative Travel Blog
Ne t’arrête pas d’écrire Plume !
Je souhaiterais que mes enfants puissent découvrir ce monde de voyage avec autant d’envie. On apprend tous les jours, avec petits et grands. La rencontre et le partage ne se monnaie pas. C’est ce qu’un jeune homme « inconscient » m’a inculqué sur les réseaux qui, depuis quelques années redonne confiance en l’humanité.
Il est sur toutes les plateformes sociales il me semble @tourdumondesansargent
Face à la nature, face aux hommes, il suit une discipline de vie qui nous interpelle. Son maître mot, vivre les extrêmes.
Je ne suis pas trop à l’aise avec le fait qu’il ait rencontré autant de journalistes mais c’est un voyageur moderne. Sa particularité repose sur son histoire et ses règles de conduite qui semblent BLUFFANTES, on n’avait encore jamais fait ça (à ma connaissance).
Un tour du monde sans argent, c’est ce genre d’articles qui inspire les gens !
Victor,
bonjour je projete de partir pour l’Amérique du Sud bientôt, dans les même conditions. pourrait on discuté un peu car j’aurais des question et ton expérience pourrais m’être très utile…
Bonjour,
Pas de souci pour échanger. Tu peux envoyer un mail à celine@voyagesduneplume.com