Est-ce que toi aussi tu connais le désespoir ? Tu sais, lorsqu’à 6h du matin tu te retrouves à faire ton sac dans les toilettes du camping après avoir passé deux heures à essayer de réparer ta tente ? En vain. Tu sais, cette sensation que tout va mal lorsque comprends qu’on est dimanche, qu’il pleut et qu’il n’y a aucun bus pour la ville aujourd’hui ? Lorsqu’après avoir fait tous les magasins slovènes et italiens tu dois accepter le fait de rester trois jours enfermée dans une ville dans l’attente d’une tente ?
Je ne sais pas si tu as déjà été réveillée en plein milieu de la nuit parce que ta tente se meurt mais je peux t’assurer que ce n’est pas le meilleur moyen de commencer la semaine !
Lundi dernier je t’expliquais ma semaine de galères (tu peux lire la note ici). Cette semaine, il est question de désespoir (oh, mais ne t’inquiète pas : j’adore toujours autant la Slovénie !)
Trois jours au soleil
Ma semaine a débuté sous le soleil. Enfin, entendons-nous bien : en Slovénie j’appelle « soleil » toutes ces périodes de non pluie. Même si elles ne durent que quelques minutes, ça me met du baume au cœur de les appeler « soleil » ou « beau temps ».
Pendant ces quelques jours de grisaille sèche j’aurais pu avancer au sec, m’endormir à l’ombre d’un pin et me réveiller avec le chant des oiseau dragueurs. Tu imagines ? J’aurais même pu replier ma tente sans emporter avec moi des litres d’eau de pluie ! Mais non, au lieu de cela, je suis restée trois jours dans un hôtel aux allures d’internat soviétique à démarcher des clients pour mon activité de rédaction web, à partager mon aventure sur les réseaux sociaux et à errer entre l’Italie et la Slovénie sans but ni GPS.
Mercredi : la fin des haricots
Après avoir longée une voie rapide, après avoir couru dans un centre commercial en écoutant Schubert (si, comme moi tu n’aimes pas les centres commerciaux, je te conseille d’écouter Ständchen), après avoir souri en voyant que les coquelicots embellissent la vie, j’ai enfin récupéré ma tente. Toute neuve. Toute petite aussi. Fini le grand luxe de la tente deux places. Fini le plaisir de pouvoir déballer tout son sac pour se sentir comme à la maison. Tant pis, dans ma nouvelle tente j’aurais la sensation de vivre une vie minimaliste : un tapis de sol, un duvet et la peur de m’aplatir contre les parois glaciales de ma nouvelle maison de toile.
C’est donc le cœur heureux et le sac toujours trop lourd que je retourne à Ajdovščina, mon point de départ du jour.
A peine arrivée au pied du sentier je sens sur ma joue perler quelques gouttes de pluie. Le ciel est noir. Mon sourire chavire entre ironie et désespoir.
La journée va être longue, je le sais.
Face à moi 900 mètres de dénivelé positif. Sous mes pieds des pierres roulent et me tirent vers le bas. Le long de mon corps je sens le froid et l’humidité qui essaient de pénétrer tant bien que mal.
J’ai envie de pleurer. Mais à quoi bon ? Mon visage est déjà trempé de ces gouttes qui roulent encore et encore tirant vers le bas mon sourire éternel !
Pour retenir mes larmes j’essaie de penser à Lui, à Elles, à Elle et à Eux qui croient en mon projet, qui croient en mes rêves. J’essaie de penser à Toi qui lit ces mots et je marche. Un pas après l’autre je monte vers la cime.
Sans vraiment savoir comment, j’atteins mon objectif. Sous mes yeux s’étalent des paysages heureux : à ma droite la mer baignée de soleil, à ma gauche, le chemin de crête qui m’accompagnera pour une dizaine de kilomètres.
Sans vraiment savoir comment, je retrouve le sourire. Je m’élance sur ces montagnes qui dominent mon monde et … me prends un grand coup de vent dans les côtes ! Décidément, cette journée va VRAIMENT être longue.
Je marche entre le vent et la pluie jusqu’à trouver quelques brins d’herbes où poser ma tente.
Je suis à découvert, au croisement de chemin de terres. A mes côtés une statue de la Vierge Marie. Est-ce que quelqu’un oserait venir m’embêter sous les yeux de la Madone ?
Après le beau jour vient le brouillard
Dans environ 20 kilomètres je serai à Idrija, mon escale du jour.
Mes pas suivent la piste qui n’est autre qu’une route en cours de goudronnage. Tant pis.
Je passe et repasse devant des ouvriers au regard curieux. Aucun ne me siffle. Aucun ne me fait de commentaire déplacée. Seule dans la forêt, seule au milieu de dizaines d’ouvriers je me sens bien. Je suis une marcheuse, ce sont des travailleurs. Nous nous saluons poliment et chacun continue sa route. Cette anecdote peut te paraître anodine mais c’est la première fois que je n’ai pas besoin de changer de trottoir lorsque je marche près d’ouvriers. C’est la première fois que je n’ai pas besoin de mettre mes écouteurs lorsque je passe près d’un groupe d’hommes (si tu veux lire mon article sur le harcèlement de rue à l’étranger c’est ici).
Au bout du chemin j’arrive au paradis : le soleil brille (et sans nuage !), un café perdu au milieu de nulle part offre une terrasse en bord de rivière. J’arrête le temps et profite de chaque seconde de bonheur.
En arrivant à Idrija mes pas ralentissent : je ne veux pas être là. Je veux retourner dans ce petit bistrot du bout du monde et me perdre dans le chant des eaux turquoises. J’ai envie de retrouver ce couple de cervidés qui a traversé devant moi. J’ai envie d’écouter encore et encore l’aigle hurler dans le vent.
Pourtant, je continue. Je continue et me laisse séduire par cette toute petite ville aux allures de gros village chaleureux. Je continue à saluer les passants, à lever les yeux pour découvrir les beautés d’un rayon de soleil. Je continue le sourire aux lèvres et la légèreté dans le cœur. As-tu déjà remarqué qu’il arrive un moment où ton cerveau est tellement dopé aux hormones du bonheur que tu oublies le poids du sac, les douleurs et la fatigue ?! Tu es tellement heureux de tout que tu pourrais encore marcher des heures et des heures sans même sombrer dans le désespoir ?!
je crois bien que je viens de passer les deux plus beaux jours de cette aventure. Malgré le froid, la fatigue et les larmes de pluie je rêve de prolonger ces quelques kilomètres achevés en une éternité solitaire.
Et les galères continuent
Après une soirée entre Français je me dirige vers l’Est.
Comme un chien cherchant à attraper sa queue, je passe deux heures à chercher un chemin qui n’existe plus. A la place je trouve un choix difficile à faire : passer ma journée à battre du goudron ou profiter du soleil pour visiter la région et changer d’itinéraire.
J’ai profité du soleil !
J’ai profité du soleil jusqu’au samedi.
Puis, sous la pluie bien entendu, j’ai repris ma route vers Logatec et Cerknica. J’ai dévoré les kilomètres pour échapper au bitume. J’ai fais des tours et des détours lorsqu’une rivière a décidé de traverser mon sentier. J’ai frôler la nationale en espérant qu’aucune ivresse ne vienne créer un nouveau virage droit sur mes jambes.
Quand la douleur s’installe : comment continuer à marcher ?
Et puis je suis arrivée.
Clopin-clopant j’ai trouvé un hébergement. J’ai passé mes derniers kilomètres à sentir la douleur envahie mon genou. Le droit.
Puis le gauche.
Après bientôt un mois de randonnée mon corps se fatigue. Il me rappelle qu’il est malade et que je ne peux trop lui en demander. Il me rappelle qu’il y a 3 ans encore je ne pouvais pas faire de sport.
Alors je l’écoute.
J’écoute la douleur me rappeler ma peur de l’hôpital, de ses odeurs, de ses couleurs et de ses bruits.
J’écoute cette douleur me rappeler que ce sont des vis qui me font tenir debout.
J’écoute la douleur me rappeler que dans 5 ou 10 ans on me demandera de choisir entre une prothèse ou des infiltrations…
J’ai mal.
Mon genou droit a doublé de volume et je sais que deux, dix ou treize jours de repos n’y feront rien : ma douleur est celle d’un genou sans cartilage, de l’arthrose, d’un corps fatigué avant l’âge.
J’ai mal mais je refuse d’arrêter. Je continuerai de marcher coûte que coûte. Je traverserai la Slovénie à pied d’Ouest en Est, de détours en détours.
Ce soi j’écoute la pluie tomber et me demande comment je vais finir ma traversée de la Slovénie à pied. Je ne laisserai pas mes maux décider pour moi. Je ne laisserai pas mes problèmes de santé vaincre mes rêves.
Je pense à Lui, à Elles, à Elle et à Eux qui croient en moi. Je pense aussi à Toi qui lit ses mots et qui a peut-être envie de me voir réussir.
Demain je reprends la route, mon sac toujours trop lourd sur le dos. Je reprends la route de l’Est en espérant que la montagne porte conseil…