“Ce que j’aime dans les voyages, c’est l’étonnement du retour.”
(Stendhal)
Retour,
Retour, je te maudis. Je te maudis, toi et ton nom que l’expérience grave au plus profond de mes mauvais souvenirs. Toi et la solitude que tu poignardes dans mes souvenirs. Toi et ces larmes sèches qui lacèrent mon cœur lorsque je lui souris un adieu indéfini. Toi et cet amour que tu m’as volé lorsque tu m’as rappelé en France. Toi et cette déclaration trimestrielle qui ne prendra jamais en compte la richesse de son cou gras et de ses bras frais. Toi et ce RER dans lequel je me perds au fond de mes écouteurs pour ne pas entendre leurs sifflements, pour me faire croire que je ne l’ai pas quitté pour rien.
Retour maudit, je te hais. Je te hais toi et ces souvenirs de soirées auxquelles je n’ai pas participé. Toi et ce silence qui m’accuse d’avoir été absente pour sa fièvre, son cœur ouvert, son enterrement. Toi et le regard de ce neveu qui ne me (re)connait pas. Toi et cet enfant que je n’ai connu qu’imprimé en noir et blanc sur une échographie asexuée. Toi et ces photos de mariage remplie de mon absence. Toi et ces douaniers qui m’accueillent d’un « Passeport ! » sans « bonjour » ni « merde », le regard débordant d’un racisme professionnel.
Retour haï, je t’en veux. Je t’en veux pour cet amour abandonné sur le quai d’une gare. Pour cette solitude routinière. Pour m’avoir fait croire que pendant mon absence rien n’aurait changé. Pour ce sourire amer qui a décollé avec moi avant de s’évanouir dans les airs. Pour l’illusion dans laquelle tu as bercé mon envie de partager mes photos, mes films et le goût de pomme d’une banane péruvienne.
Putain de retour, comment ai-je pu être assez niaise pour croire que tu serais différent de tes frères passés ?
Putain de retour ! Putain de retour, là-bas, je rêvais de toi, de ton fromage et de tes cafés en terrasse. Là-bas, je t’aimais, t’espérais, t’enviais. Là-bas, je t’imaginais beau et haut en couleurs, beau et riche en retrouvailles. Là-bas, tu étais espoir mais … mais aujourd’hui, je pleure l’erreur qui m’a poussée dans tes bras.
Putain de retour. Pourquoi ? Pourquoi laisses-tu ma rage et les larmes, mes regrets et mes oublis me serrer la gorge ? Pourquoi ? Pourquoi, lorsqu’assise seule au milieu de ces visages vieillis par mon absence, je me prends à espérer ? Pourquoi ? Pourquoi lorsqu’elle me demande de quoi demain sera fait, je me prends à espérer ? Pourquoi laisses-tu ma rage et mes oublis, mes larmes et mes regrets se dissiper ?
Retour, et si… et si ma rage et mes larmes, mes regrets et mes oublis, cette souffrance qui alimente mon cœur depuis que j’ai foulé ton sol n’étaient que peur ? Cette peur que je fuis encore et toujours aux quatre coins du monde. La peur de sentir sur moi se poser un silence accusateur, de devoir me présenter à ce neveu que je n’aurais connu qu’imprimé en noir et blanc, d’avoir laissé mon cœur se briser en vain, de me retrouver seule, sans personnes à qui raconter mes photos, mes films et le goût de pomme d’une banane péruvienne. Peur que tout soit comme avant, figé dans ce monde que je tourne à toute vitesse. Peur que tout soit différent, que le monde ait continué à tourner loin de moi et que jamais, je n’aurais assez de vitesse pour rattraper sa course.
Retour, et si… et si je m’étais trompé ? Et si ton nom était synonyme de liberté ? De cette liberté chérie que je cherche encore et toujours aux quatre coins du monde. Cette liberté que tu m’offres sur le plateau des possibles.
Retour chéri, la rage et les larmes, les regrets et les oublis se sont évanouis dans les airs. Les sourires, les caresses, les éclats de rire avec cet enfant sorti d’une image en noir et blanc me rappellent à la réalité.
Les pieds fixés dans ce chez moi éternellement éphémère, je tourne sur le monde à toute vitesse.
Demain, je pourrai devenir blogueuse, écrire un livre, faire de l’intérim, être embauchée en CDI, travailler avec des enfants, du voyage, faire les saisons, être réceptionniste dans un grand hôtel, vendre des séjours à la carte, reprendre mes études, profiter du RSA, aimer, être mère, être prof, être vacataire. Demain, je pourrais être astronaute, pilote de ligne, vendeuse de savonnettes, conseillère juridique ou ingénieur agronome.
Retour adoré, là-bas, j’ai aimé, j’ai travaillé, j’ai démissionné, j’ai levé le pouce pour rejoindre le vent. Là-bas, j’ai abandonné des bouts de cœurs qui fleuriront dans les souvenirs des rencontres passées. Là-bas, j’ai laissé une parenthèse de ma vie, une parenthèse que j’ai fermée pour te serrer dans mes bras.
Retour aimé, je te remercie. Je te remercie pour ce vertige qui m’affole lorsque tu m’offres autant de liberté. Je te remercie d’être resté chez moi pendant que j’étais loin de toi. Je te remercie pour la patience que tu m’offriras lorsque je te quitterai à nouveau.
Retour, je t’aime, toi et ton nom que l’expérience grave dans mes meilleurs souvenirs.
Maudit retour, putain qu’est-ce que je t’aime !
Et lecteur, tu voudrais lui dire quoi au retour ?
Je comprends ce que c’est de retourner chez soi après un voyage inoubliable 🙂
Je suis contente de tomber sur cet article, qui reflète exactement l’état d’esprit où je me trouve maintenant, une semaine après le fameux retour … Je me surprends à me demander « et si j’étais restée? » « pourquoi je suis rentrée? », au milieu des gens qui me demandent comment se sont passées mes « vacances » (pour qualifier un voyage seule en amérique du sud, où j’ai beaucoup plus dépassé mes limites que d’habitude), et veulent que je leur raconte « tout » mais changent finalement de sujet (probablement parce que je ne sais pas « raconter », et même, je ne sais pas si ça se raconte vraiment ce genre d’expérience …). Bref, beaucoup de blabla pour pas grand-chose, mais merci de me faire moins me sentir seule!
Magnifique texte dans lequel je me retrouve beaucoup… il est le reflet de l’ambivalence que traversent de nombreux voyageurs. En voyage comme de retour, ne gardons que le meilleur. Merci pour le partage 🙂
Merci beaucoup pour ton commentaire 🙂
Le retour est rarement une étape facile du voyage et pourtant il en fait partie intégrante. J’ai écrit ce tete parce que j’ai eu beaucoup de mal à « garder le meilleur » justement des retours. Après la rédaction de l’article et quelques mises au point avec moi-même, j’ai enfin compris que le retour pouvait être positif.
Texte magnifique qui réchauffe le cœur des voyageurs
Encore merci
Merci beaucoup pour ce gentil commentaire 🙂
Waou tu m’as presque fait pleurer .. texte très fort qui met les mots sur des maux souvent cachés parce que personne pourrait ou voudrait comprendre. Moi je ressens parfois ce décalage quand je rentre pendant les vacances.. les êtres chers vieillissent ou grandissent trop vite et toi tu t’en veux d’être parti si loin et de ne pas vivre tous ces moments de la vie avec eux, mais au fond je ne me verrai pas non plus partir du Chili je m’y sens trop bien et j’ai une énorme chance de pouvoir y avoir une vie douce où je ne manque de rien ! J’espère que tu retrouveras une vie douce dans notre belle France ou ailleurs
Merci beaucoup Maria. Ton commentaire me touche beaucoup !
Je comprends ce que tu peux ressentir quand tu reviens en France. Être loin des siens est difficile mais être loin du lieu qu’on a choisi pour vivre l’est aussi. Ce n’est pas évident d’expliquer ou parfois devoir justifier nos choix. Je suis contente de lire que tu es heureuse au Chili. Merci encore pour ton commentaire.