Un temps à Madagascar

« Le voyage est une espèce de porte par où l’on sort de la réalité »
(Guy de Maupassant)

Un temps ocre et chaud

Alors que je pourrais vous parler de mille et une choses, alors que je pourrais vous décrire la gentillesse des Malgaches, la beauté des paysages, les mélanges culturels, les Chinois, Indiens, Africains, Blancs, Noirs, Métisses, les taxis 4 ailes, la terre ocre qui tache les tongs ou les caméléons source de superstitions,  j’ai envie de vous parler du « temps », du temps malgache, du temps à Madagascar …

J’ai envie de vous parler du temps chaud et humide qui apprend à notre corps à transpirer des paupières ; du temps orageux qui illumine l’Océan Indien de mille éclairs le soir venu ; du vent qui, de temps en temps, fait chanter les cocotiers et transforme notre terrasse en véritable coin de paradis ; du temps que mettent les flaques d’eau grandes comme des marres à s’évaporer pour laisser place à des chemins de terre, des décharges à ciel ouvert, des restes de route coloniale …

Caméleon, Madagascar

Un temps lent et sombre

J’ai envie de vous parler du temps qui passe lentement, aussi bien à la maison qu’au travail ; du temps que je passe, moi, à lire et à écrire pour occuper mon temps ; du temps que l’on passe sans électricité ; du temps que met l’agence nationale d’électricité pour comprendre que non, nous n’avons pas besoin de lumière entre 23 h et 5 h mais que oui, nous en avons besoin de 17 h jusque 22 h ; du temps égaré sur les deux seules rues goudronnées de Sambava ; du temps qui défile dans les trois rayons de l’unique supermarché de la ville à comparer les étiquettes de vins chiliens ; du temps qu’il faut pour sortir de la ville en taxi-brousse ; de l’impossibilité de passer un week-end hors de Sambava par manque de temps ; du temps passé sans papier, loin de mon passeport, qui lui voyage d’institution française en institution malgache dans l’espoir d’être un jour, décoré par un visa en règle.

J’ai envie de vous parler du temps qui coule lentement sur les aiguilles d’une montre arrêtée et qui me permet de prendre le temps de me retrouver ; du temps que je passe les pieds dans l’eau à marcher de long en large sur la plage ; du temps que mes pieds passent à caresser le goudron brûlant avant d’avoir des ampoules ; du temps qu’il me faut pour comprendre que mes pieds ne sont pas aussi résistants que ceux des Malgaches qui n’ont pas les moyens ni parfois l’envie de s’acheter des chaussures ; du temps qui s’assied sur ma terrasse pour boire du rhum arrangé avec ma voisine ; du temps que passent les hommes à crier « bonjour bébé », « salut chérie », « je t’aime poupée », « viens chez moi mademoiselle » dès qu’ils voient une femme dans la rue ; du nombre de fois que des Malgaches ont pris le temps de me demander pourquoi je cours alors que d’après mes muscles je ne marche pas plus vite qu’un parisien en retard au boulot pendant une grève de la RATP.

Bateau à Nosy Iranja, Madagascar

Un temps musical et incomplet

J’ai envie de vous parler du temps que passent les ouailles de l’église luthérienne voisine à chanter encore et toujours les mêmes cantiques ; du temps passé dans l’unique boîte de nuit de la ville qui n’a sûrement jamais pris le temps de créer plus d’une seule playlist ; du peu de temps où j’arrive à écouter le salegy sans envisager un retour immédiat en France ; du temps que mettent quelques bénévoles de l’Alliance Française à improviser un petit karaoké 100% musique française des années 90 dans notre bibliothèque tous les samedis après-midi ; du temps qu’il me faudra pour comprendre ce que me dit le présentateur de l’émission de radio que j’anime ; du temps qu’il faudra aux Malgaches, fans de musique romantique chantée par de grosses voix féminines, pour comprendre que je ne m’appelle pas Céline en hommage à Céline Dion.

J’ai envie de vous parler du temps qu’il m’aura fallu pour prendre le temps de vous écrire ces quelques lignes sur ma vie à Sambava, ville aux deux rues goudronnées ; du temps qu’il m’aura fallu pour continuer à écrire ce blog ; du temps que je prendrai sûrement pour écrire de nouveaux articles …

Et toi lecteur, tu es plutôt du genre à prendre le temps de le voir filer ou à courir après un temps trop lent ?

Bateau au coucher de soleil, Nosy Komba, Madagascar

8 réflexions sur “Un temps à Madagascar”

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