Route à San Pedro de Atacama, Chili

Slow travel : ode à la lenteur en voyage

« Nous nous refusons tous les luxes sauf le plus précieux : la lenteur. »
(Nicolas Bouvier)

Se perdre. Ici et là suivre la lumière d’une ruelle esseulée. Lever le pouce, rire, échanger et changer ses plans amovibles pour suivre des conseils inconnus.
Se perdre dans le temps. Étirer les heures pour profiter de chaque rayon de soleil. Écourter les jours pour danser chaque seconde d’une nuit sans lune. S’asseoir contre un arbre et se perdre dans les pages d’un livre à offrir.
Se perdre pour ne pas perdre son temps, sa vie, son voyage.

« On a même eu de l’avance et on est rentré une semaine plus vite »

Cette phrase, je l’ai lue sur l’un des nombreux groupe de voyageurs Facebook. C’est une voyageuse qui a parcouru 5 pays latino-américains en 2 mois qui l’a écrite. Comme toutes celles et ceux dont le seul but est de gratter une carte, cocher une liste ou épater la galerie des statistiques, elle a sûrement préparé son voyage à la seconde près sans laisser au temps un instant de liberté.

Je relis la phrase. Je visualise la carte d’Amérique du Sud. Le Chili, la Bolivie, le Pérou, l’Argentine et le Brésil. 2 mois pour des pays qui sont tous plus grands que la France, la Belgique et le Liechtenstein réunis. 2 mois pour parcourir la quasi totalité d’un continent.
J’imagine qu’elle n’avait que ces deux petits mois de vacances dans l’année et qu’elle avait envie d’en prendre plein les mirettes. Je la comprends. Le monde est si beau, si vaste. Moi aussi j’aurais voulu tout voir, tout connaître, tout comprendre. Mais ça c’était avant.
Aujourd’hui j’ai 30 ans. J’ai vécu la grande partie de ma vie en France et je n’en connais même pas tous les recoins. Alors, je me suis faite une raison : ma vie d’humaine est trop courte pour tout voir, tout connaître et tout comprendre.
Tant pis.
Tant mieux.
Cette voyageuse rêve encore de tout voir. Non, elle ne veut pas forcément connaître ou comprendre, mais voir. Juste voir. Comment l’en blâmer lorsque quelques secondes sur Instagram suffisent pour savoir quelle photo prendre, sous quel angle, à quel endroit et même à quelle heure ? Aujourd’hui quelques clics suffisent pour organiser un voyage sans emporter avec soi le goût des surprises.

Ne vous méprenez pas, je ne critique pas les personnes qui optent pour un voyage aussi rapide que leur quotidien. J’essaie de comprendre. J’essaie de voir où est l’intérêt de voyager d’aéroport en aéroport, de ne pas prendre le temps de se laisser séduire par un pays, de ne pas se sentir chez soi ici ou ailleurs.

Si cette voyageuse me lit elle aura sans doute du mal à comprendre comment on peut passer 4 ans au Chili sans avoir fini d’en faire le tour, comment on peut vivre 3 ans à Puerto Montt et continuer d’en découvrir des ruelles, comment on peut se donner deux ans pour traverser les continents américains et ne même pas avoir atteint l’Equateur. Parce que vous l’aurez compris, moi, le temps, je le prends.
Ou je l’oublie.

Voyager vers ailleurs. Se laisser porter au gré des rencontres, des envies, des fatigues. Partir aujourd’hui ou demain vers une destination sans fin. S’asseoir à l’arrière d’un pick-up et rire à gorge déployée dans le vent qui fouette les joues rougies par un soleil argentin.
Prendre le temps. Lui faire confiance : une panne, un détour, une nuit au poste frontière, qu’importe ! Demain le voyage continuera. Demain nous repartirons vers ailleurs.

Route à San Pedro de Atacama, Chili

Je n’ai pas toujours été comme ça. Plus jeune j’avais envie de tout voir, tout connaître, tout savoir. Je voulais vivre vite pour ne perdre aucune seconde mon temps imparti ici et là.
Je crois que c’est mon séjour à Kiev qui a déclenché mon amour pour la lenteur. Je finissais mon année de volontariat en Slovaquie et j’ai rendu visite à ma famille expatriée en Ukraine. J’avais trois semaines devant moi. J’aurais pu découvrir la Crimée ou aller sur les traces de Tchernobyl mais non, je suis restée trois semaines à Kiev. Mes journées n’avaient rien de palpitantes pour les touristes pressés : marcher dans les rues, me perdre d’une église à l’autre, m’asseoir dans un parc entre deux visites de musées et essayer de retrouver la bonne sortie dans les dédales des métros. En trois semaines je n’ai pas « fait » l’Ukraine. J’ai vécu Kiev. J’ai découvert le monde de ces expats qui gagnent des salaires mirobolants, j’ai déguster la vie à l’ombre d’un arbre, j’ai appris à figer le temps sur le sourire du voyageur heureux. Je ne connais ni la culture ukrainienne ni la culture kievienne. J’ai seulement frôler la vie d’une jeunesse dorée et de travailleurs étrangers. Pourtant je suis heureuse d’avoir pris le temps de reconnaître le nom des rues, de savoir où aller grignoter un petit quelque chose ou juste de ne plus me perdre pour du sortir du métro.

Après l’Ukraine j’ai continué mon tour d’Europe. 3 régions de 3 pays différents en 2 mois. J’ai pris mon temps.
J’ai pris le temps de profiter de chaque instant, de parler à des inconnus, de voir l’orage s’approcher des côtes depuis les Cliff of Moher (Irlande), de replonger en enfance en jouant dans les eaux d’un port, de manger des fraises des bois dans un cimetière celte, de me baigner dans la mer du Nord et d’emmagasiner dans mon cœur de voyageuse les souvenirs de mon plus bel été. J’ai pris le temps de peaufiner des amitiés, d’en créer d’autres.

En trois mois j’ai vu bien peu de choses. Je me suis laissé envelopper dans une bulle de bonheur. Loin du temps et de l’espace, j’ai voyagé sans penser à demain.
Accompagnée d’amies du lycée, j’ai laissé l’insouciance de l’adolescence guider mes pas ici et là. A l’âge de tous les possibles j’ai oublié le temps. Avec Elles j’ai levé le pouce vers l’horizon. Le programme du voyage se dessinait sous nos pas, au jour le jour. On avait le temps, tout était possible. En Irlande, en Estonie, en France et ailleurs j’ai aimé le silence des programmes. Chaque jour réservait une surprise, une rencontre, un détour ou un fou rire. Pour en profiter il suffisait de laisser au temps, le temps d’offrir ce qu’il a de plus beau.

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Aujourd’hui, même lorsque mon voyage ne dure que quelques jours j’aime improviser. Me perdre dans les rues pour découvrir une ville, suivre un GR jusqu’à atteindre un coucher de soleil, tourner à droite, à gauche et laisser l’ambiance du lieu s’imprégner dans mes souvenirs vagabonds. Qu’importe si à Venise je n’ai pas vu la place Saint Marc, qu’importe si au Pérou je n’ai pas été au Machu Picchu, qu’importe si mes voyages laissent en or la carte à gratter que je n’aurai jamais.
A Venise, au Pérou et ailleurs j’ai pris le temps de m’arrêter, de regarder, d’aimer et de rire. Ici et là la lenteur a guidée mes pas maladroits. Ici et là c’est la qualité du bien être itinérant qui a prévalu sur la quantité de Merveilles du Monde à voir.

Le temps est mon luxe, l’un des seuls biens que je possède, avec ma liberté. Je sais que je peux voyager aussi lentement parce que du temps, j’en ai. Je travaille lorsque j’ai faim, je voyage lorsque j’ai de quoi me payer un billet retour, juste au cas où. Lorsque je prends l’avion ce n’est que pour traverser un Océan ou un contient. Sur place je me déplace à pied, en stop, en bus ou taxi-brousse.
Je ne compte pas le temps que je dépense en voyageant car ma seule limite, est mon temps.
Avoir du temps c’est aussi faire des choix : se concentrer sur une région du monde plutôt que de respecter les frontières tracées par l’Homme, adapter sa nourriture à son budget frugal pour aller voir des spectacles de danse irlandaise, accepter que dans certains pays tant que de l’air circule dans un véhicule c’est qu’il y a assez de place pour faire monter quelques passagers de plus.
Avoir du temps, prendre son temps, offrir du temps aux autres et en recevoir le temps d’un sourire, c’est aussi réfléchir. Réfléchir au monde qui nous entoure, au monde dans lequel on vit. C’est réfléchir à ce que l’on veut transmettre, laisser derrière soi, partager.

Voyager. Regarder devant soi en prenant soin de limiter ses empreintes. Aller ici et là sans laisser de trace de son passage. Prendre le temps de s’arrêter, de réfléchir, d’observer et de comprendre un monde qui tourne trop vite. Aller ici et là et se laisser envelopper dans la chaleur d’une lenteur humaine. Oublier que le temps qui passe avance vers une fin. Se rappeler que le voyage se finira un jour ou l’autre et profiter de chaque instant pour n’avoir que des souvenirs à partager.

Street Art dans les rues de Diego Suarez, Madagascar. Artiste : JACE

5 réflexions sur “Slow travel : ode à la lenteur en voyage”

  1. Si on ne prend pas le temps lorsque l’on voyage, on ne le prendra jamais… Si on ne se laisse pas à l’improvisation lors d’un voyage, alors quel réel plaisir à en tirer? Très bon article !

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