Sur la route

Trois mois plus tard

Trois mois ! Voilà déjà trois mois que j’ai quitté le froid du ch’Nord pour l’hiver austral.

Trois mois. Pour tous ceux qui ne voyagent pas ou qui ne sont pas dans une situation de semi-illégalité cela ne représente rien, rien de plus que 90 jours dont 13 à jardiner, 6 à faire la fête, 65 à travailler, 10 à regretter d’être sorti sans écharpe un dimanche après-midi.

Trois mois. Pour les étudiantes qui, comme moi, ne prennent jamais la peine de faire des visas cette échéance représente beaucoup : c’est le moment où l’on va visiter le pays d’à côté histoire de renouveler le visa touriste ; c’est le moment où l’on découvre qu’on n’entre ni ne sort du Chili comme d’un moulin ; c’est le moment où l’on découvre le stress de tout émigré qui risque de se faire refouler à la frontière ; c’est le moment où l’on découvre à quel point l’Argentine et le Chili sont différents (alors que dans l’un on ne sort pas à cause de la pluie, dans l’autre on ne se couche qu’au petit jour après avoir refait le monde autour d’une bière, alors qu’à l’Ouest les gens mesurent rarement plus d’ 1m70 les bras levés, à l’Est la grandeur des gens nous fait comprendre qu’en fait, avec notre mètre 60 on n’est pas si grande que ça) ; c’est le moment où l’on passe une soirée improbable avec un Français sarkozyste tendance lepeniste avant de lui proposer une rando en forêt ; c’est le moment, enfin, où, sans même lever le pouce, on se fait prendre en stop par un papi qui roule à 40Km/h et qui s’arrête visiter toutes les églises qui se dressent sur sa route, « parce qu’une église, c’est joli » …

Trois mois. Pour la nouvelle expatriée que je suis, c’est aussi le moment où l’on comprend qu’on devient Chilienne : on écrit des mails sur fond de reggaeton ; on garde le sourire et on reste calme alors qu’à 4 jours de la Fête de la Musique on a ni la sono ni l’autorisation officielle de faire les concerts : on ne fait plus la grimace après chaque gorgée de Nescafé ; on prend le temps de ne rien faire quand il pleut ; on ne fait rien le temps qu’il fasse beau ; on ne s’énerve plus contre les fonctionnaires qui oublient leurs engagements professionnels ; on passe en direct sur une chaîne de télévision locale dans maison familiale avec pour tout matériel que des prototypes dignes des pires inventions soviétiques ; on se fait interviewer par une radio catho pendant deux heures de direct en redoutant l’instant ou Maria nous demandera si on croit en Dieu ; on prend l’habitude de tout remettre à demain en espérant que demain n’arrive qu’à la fin de la semaine ; on prend l’habitude d’embrasser les inconnus qu’ils soient concierge ou futur ministre ; on essaie de participer à la lutte pour la gratuité de l’éducation car, en France comme là-bas, on refuse l’idée de devoir payer 25000 € une Licence ; on rencontre des utopistes qui nous parlent d’une Amérique Latine unie ; on prend l’habitude d’assister à des récitals de poésie ; on passe la nuit à refaire le monde sous la verrière d’une fac d’art

Trois mois. Malgré ces 90 jours, on reste quand même Française : on rêve de rentrer en France juste pour être éblouie par le soleil ; on achète des billets d’avion pour la Bolivie et le Pérou ; on réalise que dans trois mois on sera diplômée et que pour éviter de tomber sur la carte « retournez à la case pôle emploi, ne touchez aucune aide » on cherche des offres d’emploi à l’étranger, dans un étranger chaud et chaleureux ; on essaie d’expliquer aux gens que si, les Français se douchent de temps en temps et que non, tous les Français ne sont pas romantiques, loin de là ; on garde son accent soit disant charmant et on s’entend dire « ah, toi, t’es Française », dès le premier sourire de la conversation …

Voilà, trois mois sont passés et je ne sais toujours pas combien de temps je resterai sous cette pluie glacée. Peut-être encore trois mois. Ou plus.

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