Puerto Williams : une pause au bout du monde

Un regard vers le Sud

À Puerto Montt, le soleil n’arrive jamais seul. Poussé par le vent du Sud, il sent bon le froid, la glace et l’aventure. Protéger par ce vent lointain, il brille autant qu’il rafraîchit.
À Puerto Montt, le soleil et le vent joue avec les vagues, caressent les cimes des volcans et me plongent dans une contemplation rêveuse.

Les jours de beaux temps, les hauteurs de Puerto Montt m’appellent. Penchée au-dessus d’un mirador, je regarde au loin. Sur ma gauche, les Andes brillent de mille neiges. Sur ma droite, les îles de l’estuaire du Reloncavi promettent un printemps fleuri. Mais, c’est ce qu’il y a en face qui m’intéresse. Je plisse les yeux. Comme des taches de peintures sur un ciel trop bleu, quelques sommets se laissent deviner. Je m’envole dans ce rêve de froid, de glace et d’aventure. Je m’oublie dans ce vent venu tout droit d’Antarctique.

Un rêve austral

À Puerto Montt, j’ai souvent rêvé du continent blanc. Je l’ai imaginé, dessiné sur mes paupières ouvertes et j’ai même élaboré des esquisses de solutions pour y aller tout en conservant mes organes intacts. Lorsque j’ai décidé de tenter ma traversée des Amériques en stop, je pensais partir du Sud du monde. Je rêvais d’un départ blanc et solitaire. Ou presque.
Et puis, comme à mon habitude, j’ai lu. J’ai lu et j’ai réfléchi à ce tourisme austral. J’ai lu et je me suis demandé si la satisfaction d’un bonheur de voyageuse était plus important que la tranquillité d’espèces sauvages ? Est-ce que j’avais vraiment envie de cocher sur ma bucket list inexistante la case « a participé à la pollution du seul continent consacré à la science et à la paix » ? Mon Instagram quelque peu dénudé, tout comme mon ego de voyageuse, peuvent bien se passer de cette expérience.

Cette remise en question du tourisme « hors des sentiers battus » qui bat de nouveaux sentiers m’a obligé à revoir le peu de plan que j’avais. Mon point de départ de cette traversée sans fin se ferait plus au Nord, tout au Sud. Puerto Williams ! Puerto Williams, la ville la plus australe au monde, cette ville que j’imaginais en plissant les yeux les jours de vent, cette ville oubliée de toutes celles et ceux qui considèrent Ushuaïa comme étant le bout du monde.

Arrivée sur Puerto Williams, détroit de Beagle, Ile Navarino, Chili

Une traversée patagone

Pour atteindre Puerto Williams j’ai descendu la Carretera Austral avec Elle, avec Lui. En un mois, on a ri, on a découvert, on a fait du stop sous la pluie et chanté au soleil. En un mois, on a atteint la pointe du continent : Punta Arenas. C’est de là que partent les ferrys pour Puerto Williams.
Alors qu’Elle prenait son envol pour traverser l’Atlantique, avec Lui nous avons traversé le Canal de Beagle.

30 heures de bateau. 30 heures à voguer entre fjords et glaciers, entre nuages bas et pluie australe. 30 heures à affronter le vent pour sourire aux vagues, à se laisser bercer par un livre marin, à sentir le temps s’étirer dans toute sa lenteur sans chercher à l’arrêter.

Nous sommes arrivés au bout du monde en pleine nuit. Nous avons longé le cimetière, suivi un chemin de terre et posé notre tente au clair de lune.
C’est au réveil, lorsque le ciel s’est teinté de rose, que nous avons réalisé que nous étions sur l’île de Navarino.

Arrivée sur Puerto Williams, détroit de Beagle, Ile Navarino, Chili

Une vie au bout du monde

Un café avalé face au détroit, un sourire infatigable et nous voilà en marche pour trouver un endroit où poser notre tente pour le reste du séjour. Pour éviter de tourner en rond, nous faisons au plus simple : nous demandons directement aux policiers où faire du camping sauvage.
Le sourire aux lèvres, ils nous indiquent le parc Ukika. Un parc familial où passe une rivière. Il y a des arbres pour se protéger de la pluie et des barbecues pour cuisiner en toute sécurité.
Un petit paradis.
Notre futur « chez nous ».

Dans cette petite ville tranquille, on nous explique qu’il n’y a pas de vol de vélo : si un deux roues disparaît, c’est qu’un petit jeune en a eu besoin pour rejoindre son amoureuse et une fois la danse des bisous terminé, il le rend au propriétaire.
Dans cette petite ville tranquille, on peut donc laisser notre tente dans le parc sans crainte.

Nuit rose à Puerto Williams, Ile Navarino, Chili

Dès notre première matinée, nous avons repéré les agences qui vendent un retour simple pour Ushuaïa. Avant de débourser U$240, nous avons décidé de laisser place à l’imprévu.

Une exploration sudiste

Tous les jours, nous partons vers l’Est, l’Ouest ou le Sud.
Toujours au hasard. Toujours heureux.
Nous avons suivi la route oubliée jusqu’à se faire amis avec un martin pécheur. Nous avons rêvé, à pied, jusqu’à croiser une colonie de vacances de vaches (selon Lui, c’était un pur hasard qu’une dizaine de vaches se trouvent juste à côté d’un vieux van coréen).

En attendant la fin de la pluie, nous avons écouté les enregistrements audio de la langue des Yaghans. Dans le musée, nous avons titillé notre curiosité assoiffée. Nous avions envie de comprendre, de savoir ce qui est arrivé aux civilisations passées, aux Selk’nam qui vivaient sans vêtements au bout du bout du monde. Nous sommes sortis du Musée le cerveau en ébullition. Nous essayions d’imaginer la vie des Yaghans, celle des colons, celle de tous ces êtres d’un temps ancien. Nous avons marché sans but, en suivant nos rêves de ces langues disparues, de ces témoignages oubliés.

Et puis, nous sommes partis à l’aventure. Nous avons emprunté l’ancien chemin qui mène au Cerro La Bandera. La balade d’une heure s’est transformée en rando du combattant de 3 heures. En suivant des flèches multicolores, nous avons enjambé des racines envolées, nous avons escaladé des bourrasques et avons joué les naturalistes en regardant des insectes évoluer dans la neige. Nous avons aussi croisé une vache écrasée par un arbre et, le soir même, nous avons déplacé la tente. Plus question de dormir sous les arbres !

Une fois sous le drapeau défraîchi, nous avons vu que ces « pointes » que nous avions essayé d’atteindre la veille étaient des îles. Pendant des heures, nous avions glissé notre regard sur des falaises. Nous les avons suivis encore et encore. Plus nous nous rapprochions, plus elles s’éloignaient. La vieille, nous avons poursuivi un rêve inexistant.
Et puis, comme des débutants, nous nous sommes aperçus au dernier moment que nos téléphones n’avaient plus de batterie. Tant pis. Les seules photos que nous avons de cette vue sur le Canal de Beagle sont celles gravées dans notre mémoire.

Depuis le Cerra La Bandera le chemin suit sa route vers les Dents de Navarino. Un trek de 4 jours qui requiert un équipement adéquat. Sans carte, ni GPS nous décidons de revenir un autre jour. Nous savons déjà que nous reviendrons. Dans quelques mois, années où quelques vies.

Baie de Wulaia, Puerto WIlliams, Ile Navarino, Chili

Sans boussole, nous sommes partis à l’Ouest. Nous avons pique-niqué sur la base navale et poursuivi notre exploration de la baie Wulaia. Entre les cris des sternes et les regards méfiants des mouettes, nous avons joué avec des armes d’antan et avons rêvé de l’intérieur de ces maisons isolées, au bout du monde.

Arrivés au parc ornitho-botanique, nous avons arrêté le temps. Le temps nous a arrêtés.
Face à nous, un trio de pics verts-punks à crête rouge. Il n’en nous fallait pas plus pour inventer des scenarii à plumes.
Seuls au monde, on a passé les mousses à la loupe, découvert qu’il existe des perroquets sur l’île et appris à reconnaître certains arbres. Tout était si calme, si solitaire, si harmonieux qu’on ne savait plus où laisser nos yeux divaguer. Arbres, plantes, oiseaux, insectes… Sans autre bruit que ceux offerts par la nature, on a savouré chaque odeur, succombé à chaque rêverie.

Bateau isolé sur terre, Puerto Williams, Ile Navarino, Chili

Dans le parc Ukika, nous étions chez nous. Une routine s’est même installée sans crier gare : le matin, on se faufilait jusqu’à la rivière pour faire bouillir l’eau du café, l’eau du shampoing. Lorsque la pluie était de la partie, on se glissait dans les sacs de couchage pour lire quelques pages avant d’aller au village.

En quelques sourires à peine, on a perdu la clef de notre tente. Vagabonde, on la laissait seule. On partait arpenter les chemins sans fermer derrière nous. Au bout du monde plus rien ne nous faisait peur. Au bout du monde, aucun voleur n’a décidé de s’enraciner. C’est d’ailleurs parce que notre maison pliable était à la vue de tous que des jeunes scouts ont joué à cache-cache à l’intérieur (et accessoirement abîmé nos arceaux). La preuve du délit ? Des restes de marshmallows grillés à l’entrée du palace !

Un retour pour un nouveau départ

Après une dizaine de jours passés au bout du monde, la pluie semblait vouloir s’installer pour de bon. On a donc décidé de reprendre la mer pour poursuivre notre route vers le Nord.

Nous partageons le bateau du départ, du retour, avec deux jeunes Françaises arrivées la veille. En moins de 24h sur Navarino, elles ont pris le large « parce qu’il n’y a vraiment rien à faire à Puerto Williams« .

Le sourire en coin, je préfère ne rien répondre. Le cœur plein de souvenirs, je sais que mes dix jours passés entre randos, découverte, admiration d’oiseaux merveilleux et rigolades les pieds dans l’eau n’est pas du goût de tous les voyageurs.
Tant pis.
Tant mieux.
Battus ou pas, les sentiers de Puerto Williams ne s’offrent à celles et ceux qui ouvrent leurs yeux à la simplicité d’une nature sans pareil.

Cascade, Puerto Williams, Ile Navarino, Chili

Et toi lecteur, quel est le bout du monde qui te fait rêver ?

Puerto Williams : infos pratiques

Comment y aller ?

  • Depuis/vers Punta Arenas (Chili) :
    • environ 30 heures de ferry
    • Punta Arenas – Puerto Williams : départ les lundi et jeudi
    • Puerto Williams – Punta Arenas : départ les samedi et mardi
    • Tarifs 2019 :
      • fauteuil semi-cama +/- 145 € (repas compris)
      • fauteuil cama +/- 200 € (repas compris)
      • informations : Austral Broom
  • Depuis/vers Ushuaïa (Argentine) :
    • environ 30 minutes de navigation
    • Tarif 2019 : U$ 120 / personne (transfert de Puerto Williams à Puerto Navarino inclus)
    • Départs réguliers. Information directement sur place auprès des agences de Puerto Williams
Comment aller à Puerto Williams, carte, Terre de Feu et Ile Navarino

Où dormir ?

  • Hors saison, vous pouvez planter votre tente gratuitement dans le parc Ukika. Il dispose de tables de pique-nique et de petits barbecues. Le parc est situé au bord d’une rivière et à quelques minutes à pied du centre bourg
    • Pour camper : le camping El Padrino (tarif 2019 $8.000/personne)
    • Auberge de jeunesse et hôtels : contacts sur le site de la ville
Carte Puerto Williams, Chili

A voir / à faire :

  • Cerro La Bandera (pensez à vérifier la batterie de votre appareil photo : la vue est tip top) :
    • balade de 3,1 Km
    • départ depuis la statue de la Vierge
  • Trek Dientes de Navarino :
    • au moins 4 jours pour 53 Km
    • possibilité de le faire en autonomie ou avec guide (plusieurs agences sur place)
  • Baie Wulaia :
    • balade sur un sentier bien défini
    • suivre la piste pour l’aérodrome et bifurquer à gauche après le pont-bateau
  • Punta Gusano :
    • petite balade d’une heure environ
    • accessible à marée basse
    • prendre la piste vers l’aérodrome et poursuivre jusqu’à la pointe
  • Parc etnobotánico Omora :
    • Ouvert de 9h à 18h en été ; de 10h à 15h le reste de l’année
    • situé à environ 3 Km à l’ouest de Puerto Williams (pour y aller, il suffit de suivre la route)
  • Musée anthropologique Martin Gusinde :
    • De novembre à mars : ouvert du mardi au vendredi de 9 h 30 à 17 h 30 ; samedi-dimanche de 14 h 30 à 18 h 30
    • D’avril à octobre :
      ouvert du mardi au vendredi de 9 h 30 à 17 h 00 ; samedi de 14 h 30 à 18 h 30
    • Entrée gratuite
    • Wifi et ordinateurs accessibles en libre-service
    • Site web (en espagnol) : ici
Carte ile de Navarino, Puerto Williams, Chili

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Conseils pour visiter la ville la pus australe au monde, Puerto Williams, Chili

9 réflexions sur “Puerto Williams : une pause au bout du monde”

    1. Je n’ai pas eu l’occasion d’aller à Puerto Toro mais j’espère retourner sur l’île prochainement, peut-être en hiver. Je vous souhaite un très bon voyage en terres australes 🙂

  1. J’ai adoré ton article! Je ne suis allée que jusqu’à Punta Arenas (faute de temps je n’ai pas pu poursuivre jusqu’à l’île Navarino). Un voyage qui reste donc en suspend, il mijote à petit feu…Abrazos

  2. Merciii pour toutes ces infos pratiques ! et aussi pour ce récit fort bien écrit. Un rêve d’y être et comme il faut vivre ses rêves et non rêver sa vie 😉 en novembre La Tierra del Fuego mère et fils !!
    Belle continuation ! Carole

    1. Merci beaucoup Carole. C’est très gentil.
      J’espère que ces informations vous seront utiles une fois sur place. Bon voyage à tous les deux. Vous allez vous régaler : la Terre de Feu est un endroit vraiment magnifique !

    2. Je tombe un peu par hasard sur votre récit de voyage sur la tierra d’El fuego et me voilà embarqué… alors merci !
      Merci de prendre le temps de nous raconter…

  3. Bonjour et merci Céline pour ce moment d’évasions, très belle manière de partager où l’on garde l’impression de faire partie nous-mêmes du voyage. Rico !
    En janvier 24, visite de la Patagonie prévue et je pensais rebrousser chemin à Punta Arenas.
    Puerto Williams lance un appel à travers tes mots.
    Reste à me renseigner des possibilités de bateaux pour ensuite rejoindre Ushaia.
    Merciiiiiiiiiiiiiii

    1. Bonjour Pierre,

      Je ne peux que recommander de faire un tour à Puerto Williams. L’île de Navarin est magnifique, que l’on fasse, ou non, de la randonnée.
      Pour ce qui est des navettes, c’est la compagnie Austral Broom qui fait les liaisons. J’imagine qu’il est encore un peu tôt pour voir les disponibilités, mais vous trouverez facilement d’ici à quelques semaines.

      Je vous souhaite un excellent voyage en Patagonie et Terre de Feu.

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